Extrait du journal

Un sentiment de haute convenance nous commande de ne parler qu’avec réserve du comte de Chambord, — qu’il soit mourant ou qu’il soit déjà mort à l’heure où nous écrivons ces lignes. Mais, nous ne pouvons garder le"silence sur les graves préoccupa tions, sur les agissements politiques qui se manifestent, àl’heure actuelle, parmi tous ceux qui songent aux conséquences de cette mort et qui calculent les chances favorables ou défavorables qu’elle doit apporter à la cause monarchique. Encore une fois, nous ne voudrions pas laisser échapper un seul mot qui eût un caractère de légèreté dé placé à l’égard du comte de Cham bord lui-même ; mais, nous ne pou vons nous empêcher de remarquer que, si, durant toute sa vie, il a créé de grands embarras politiques aux monarchistes, il leur en crée encore à l’heure de sa mort. Si le comte de Chambord, comme on le croyait hier, eût été emporté presque subitement, la situation des princes d’Orléans, — du moins en ce qui le concerne, — eût été beaucoup simplifiée. Les princes, ou quelques uns des princes, se fussent rendus à ses funérailles, et ensuite, ils fussent restés absolument libres de leur con duite personnelle. Mais, la maladie du comte de Chambord, quoique devant fatale ment avoir une issue mortelle, peut se prolonger encore quelques jours. Le comte de Paris est parti, — il ne pouvait faire autrement, — pour aller assister aux dernier moments de celui qu’il a appelé lui-même le « chef de la Maison de France. » S’imagine-t-on ce que pourra être, à cette heure suprême, une entrevue entre le petit fils de Charles X et le petit fils de Louis-Philippe : il faudra que l’un des deux abdique moralement devant l’autre, renonce au drapeau blanc ou renonce au dra peau tricolore. Il est bien évident que, dans cette lutte, ce sera le mourant qui sera le plus fort: au seuil de l’é ternité, le Roi tliéocratique, le Roi de droit divin ne reniera pas son principe ; le Roi de l’absolutisme et du drapeau blanc ne reconnaîtra point, par une parole quelconque, celui qui voudrait être le Roi légiti me de la Révolution et du drapeau tricolore. Le beau rôle sera certainement au comte de Chambord ; — mais, se figure-t-on la situation du comte de Paris ? S’il va à Frohsdorff recueillir le dernier soupir et aussi les dernières paroles du Roi mourant, — c’est ap paremment pour faire acte de Roi luimême, dès que le Roi légitime va être mort... Mais quel acte? Cet acte sera un acte de guerre contre la République, — et alors le comte de Paris ne sera bientôt plus qu’un Roi exilé comme le comte de Chambord l’a été lui même; on bien cet acte sera une ré pudiation du principe même de la...