Extrait du journal

beaux Messieurs, sans doute parce qu'ils sont d’un autre acabit, sont bien plus ambitieux que nous. Il leur faut des pla ces, des honneurs, des titres et un tas de fanfreluches qui ne servent pas à grand chose à moins que de donner de la tablature au pauvre monde. Comme Monsieur Batbie était inconnu, dans sa jeunesse, et qu'il avait de bonnes et lon gues dents, il voulait bien dévorer sa part de la galette ; mais comme les conserva teurs ne lâchent pas ce qu’ils tiennent, il n’eut rien de mieux à faire que de se mettre de l’autre bord. Si quelqu’un s’était risqué à l’appeler Monsieur à ce moment là, il en aurait cui à l’audacieux. Il lui fallait du citoyen, et gros comme le bras encore. On dit qu’il portait des bas rouges, un gilet rouge, une cravate rouge! Maintenant il n’a plus rien de rouge... que le nez. Voilà comment vont les choses. Pense donc, mon vieux Jean, com bien ces gros matadors sont coupa bles quand ils retournent leur veste. Tour se faire connaître, pour avoir un peu de popularité et surtout pour ga gner de l’argent ils se disent les vrais amis du peuple, ils sont plus républi cains que la République, et quand ils sont arrivés à leurs fins... patatras!... ils changent de drapeau et crient vive le roi ou vive l’empereur suivant les temps. Le tour est joué et nous avons un con servateur et un honnête homme de plus. A propos, il faut aussi que je te dise que M. Batbie se prétend le plus honnête homme de la terre, et que s’il se donne tant de mal pour faire tomber M. Thiers, c’est tout simplement pour maintenir l’ordre. Pour le coup, c’est trop fort, diras-tu, eh bien ! ils sont tous comme ça. Si je n’étais pas si en colère en voyant toutes ces anicroches, j’en rirais à me tordre. On croirait voir des voleurs qui vous prennent votre montre pour vous empê cher de la perdre. Maintenir l’ordre!... c’est très beau, mais qui est-ce qui le trouble donc en ce moment, excepté monsieur Batbie et ses complices ? Est-ce que la République n’a pas réparé beaucoup des sottises de Bonatrape, est-ce que les Prussiens n’ont pas déjà quitté une partie du territoire ? Est-ce que si les braillards d’Henriquinteux ne faisaient pas tant de troubles, nous ne ferions pas nos affaires aussi bien et mieux qu’avant? Ils savent bien que si, et c’est ça qui les enrage, les gueux !... Pense donc, mon vieux Jean, que sous la République ils seraient forcés de finir leurs conspira tions, il n’y aurait plus de mains royales à baiser, plus d’étriers de prince à tenir et plus de liste ciyile pour leur graisser la patte. Les vingt-cinq ou trente millions qu’on donnerait à l’homme qu’ils veulent couronner en renversant M Thiers se raient employés à nous entretenir des bons chemins et à toutes sortes de choses dont nous avons besoin. Avec le roi ou l’empereur — c’est la même chose — reviendrait le bon vieux système des grands et petits, des seigneurs et des paysans. Pour avoir le droit de voter, c’est à dire de s’occuper de ses affaires les plus importantes, il faudrait avoir des trois cents francs d’im positions ! Comme si nous ne payions pas autant qu’eux, si riches qu’ils soient, en gardant les proportions, bien en tendu. J'aurais bien d’autres choses à te dire encore, mais ce sera pour une autre* fois. Il faut que je m’en aille au village faire signer la pétition pour la dissolu tion et voir dans la Gazelle si M. Batbie et ses amis ne nous montent pas quelque nouveau coup. Au revoir, Jean, la Mathurioe te fait bien des compliments. Mathubin, Champenois. Pour copie : Jules Cardon....