Extrait du journal
2 NOVEMBRE. DE L'ÉCHAUFFOURÉE DE STRASBOURG. On ne s'occupe dans le public que de cette étrange et déplorable histoire qui semble un plagiat de la folle tentative de Mallet/ On com mente les moindres détails que transmettent les journaux et les cor respondances , on se demande comment des hommes de sens et d'ex périence, occupant dans l'armée des positions éminentes, ont pu tremper dans l'extravagante entreprise du neveu de Napoléon -. on regrette amèrement le brusque démenti donné par ce jeune homme à tout un passé de famille qui n'était pas sans gloire, passé de dignité et de résignation au milieu des ennuis et des douleurs de l'exil : on re cherche avec anxiété les voies et l'issue judiciaires qui viendront dé nouer ce drame d'une matinée. Puis, pénétrant plus profondément dans la question que la félonie de quelques hommes a révélée, on se demande si, dans notre société politique telle qu'elle est constituée, il n'y a pas abus de certaines garanties de sécurité, et trop peu d'usage d'autres garanties bien plus puissantes ; si, en ce qui touche l'armée, on songe au lendemain, tout aussi bien qu'au jour présent, et si le gouvernement qui maintient l'ordre, à l'aide d'un effectif militaire hors de proportion avec les ressources du pays, est bien armé luimême contre toute tentative qui,'dan s un avenir si éloigné qu'il soit, voudrait reproduire l'échauffourée de Strasbourg. 9 Telles sont les préoccupations du public : détails , causes , consé quences, il recherche tout, il pèse tout ; ce triste événement aura eu au moins l'avantage de réveiller dans toutes les ames ces sentimens de patriotisme, d'amour, pour nos institutions, qui n'ont jamais fait faute à notre monarchie de juillet, chaque fois qu'elle a échappé aux criminelles entreprises dirigées contr'elie. Mais il est un enseignement qu'il faut savoir tirer de ce qui arrive. La force du gouvernement est toute entière dans le3 sympathies du pays : la stabilité de nos institutions repose sur l'assistance que leur prêtent, non pas seulement l'armée qui ne raisonne pas, mais la na tion qui raisonne. Le trône ne s'appuie pas, en France, sur des baïon nettes, mais sur les vœux intelligens des citoyens. C'est quelque cho se, c'est beaucoup, sans doute, de pouvoir proclamer à la face de l'Europe l'inébranlable dévoûment de l'armée aux jours de crise in térieure, et son enthousiasme égal à celui qu'elle porte sur les champs de bataille. Mais ce serait plus peut-être, et pour l'Europe et pour la France elle-même , de pouvoir ajouter que ces manifestations de dé voûment et d'enthousiasme ont été partagées par les citoyens. ■ Pourquoi ne le dirions-nous pas , quand 'il s'agit d'un fait aussi grave ? Dans les dépêches officielles, dans les relatians que publient les journaux ministériels , on s'accorde à signaler l'impassibilité des habitans de Strasbourg, qui auraient vu passer, de leurs fenêtres, l'é meute militaire sans s'y mêler. On semble même se féliciter de cette indifférence de la population. Mais, à nos yeux, cette indifférence est un mal immense; mais ce n'est pas ainsi qu'on, défend les institutions qu'on s'est.données; mais un peuple qui Croiserait les bras et laisse rait faire , lorsqu'une insurrection militaire s'agite sur la place publi que, serait bientôt à la discrétion de nouveaux prétoriens ! Non , ce n'est pas chose à louer que cette impassibilité de la population de Strasbourg, et comme on connaît le patriotisme des habitans de l'Al sace, il faut rechercher pourquoi des hommes si habitués au bruit des airmes, ces hommes qui, en 18)4, ont préservé Strasbourg de la souil lure de l'étranger, n'ont pas spontanément porté secours aux "chefs demeurés fidèles , pourquoi ils ont souffert , ne fût-ce que quelques minutes, que le préfet, que le général fussent tenus en charte-privée par une poignée de révoltés ? Pourquoi? Mais n'est-ce pas paree que depuis plusieurs années c'est un système suivi d'amortir l'enthousiasme des citoyens? N'est-ce pas parce que, entre le pouvoir et la nation, les sympathies de 1830 ont fait place à de déplorables méfiances ? N'est-ce pas, pour ne parler ici que de Strasbourg, parce que cette ville si patriote est privée en core de sa garde nationale, dissoute par ordonnance et non réorgani sée? Pas de garde nationale à Strasbourg, ville frontière, une des clés de la France ! Mais à quoi donc nous sert aujourd'hui cette admirable . institution, sauve-garde du pays en 1830, et qui, seule, a contenu le mauvais vouloir de l'étranger quand nous n'avions pas d'armée ? Ce fait explique le silence que gardent les dépêches du général et du préfet, au sujet de la milice citoyenne; il explique aussil'impas sibilité des habitans de Strasbourg. Comment agir, où se réunir? Com ment procéder par voie d'ensemble, quand l'organisation qui donne aux forces individuelles la puissance collective n'existe plus? Si la garde nationale de Strasbourg n'eût pas été dissoute, il est probable que le mouvement n'eût pas eu lieu, car on tente de séduire un régi ment, on ne séduit pas cne population ; il est certain qu'il n'eût pas eu même le succès momentané qu'il ?. obtenu, qu'il n'eût pas bloqué le général et le préfet avec deux piquets de soldats, car, sur un coup de baguette du tambour, les gardes nationaux du voisinage se seraient réunis, auraient dégagé les hôtels de ces fonctionnaires et rétabli l'ordre. C'est donc une faute et une faute bien grave de laisser sommeiller ainsi une ins'itution qui fait la force du pays au-dedans comme audehors. Ce n'est pas seulement de la désaffection qu'on gagne à cela, c'est de la sécurité qu'on y perd. Et nous ne parlons ici que de Stras bourg; mais dans combien d'antres villes Ja désorganisation de la garde nationale n'est-elle pas complète ! C'est au point qu'on ne trou verait pas dix communes en France où le service de la milice citoyen ne se continue avec régularité. Pour ne rappeler que l'Alsace, cette province si fidèle et si belliqueuse, objet de convoitise pour l'étranger, qu'on nous dise dans quelles villes, dans quels bourgs les gardes na tionales sont encore organisées et armées 1 Ce ne sont pas là des'lieux communs. L'événement de Strasbourg donne à nos réflexions un haut degré d'opportunité. Il faut que le jmuveir y songe, car il a de puissans intérêts de conservation qui...
À propos
Le Constitutionnel fut un quotidien politique sur quatre pages, fondé par Fouché et une quinzaine d’actionnaires, pour la plupart contributeurs du journal. D’abord bonapartiste, il s’agissait d’un organe puissant jusqu’à la naissance du Second Empire, rassemblant bonapartistes, libéraux et anticléricaux. Marqué par la personnalité d’Adolphe Thiers, le journal rendait compte des informations diplomatiques européennes, mais discutait également de l’actualité politique française.
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