Extrait du journal

Nous sommes heureux d'oflrir à nos lecteurs la primeur d'un poème inédit de S. M. la reine de Roumanie. La souveraine a écrit ce morceau lyrique,où elle évoque de façon si tou chante le souvenir do sa grand'mère la remo Victoria, à l'occasion des fê les du couronnement d'Alba-Julia, qui ont célébré la Grande Roumanie — restaurée dans les {routières de son unité nationale. Entends comme sonnent les cloches, et elles sonnent, sonnent, sonnent! J'ai entendu sonner bien dès cloches dans les divers moments de ma vie : cloches joyeuses "et cloches plaintives, cloches de fêtes et cloches de deuils, mais les cloches d'aujourd'hui ont ..un son inaccoutumé. Dans l'harmonie de tant de voix diverses, elles annoncent qu'un but a été atteint, un projet accompli, un rêve réalisé ; elles élèvent une fervente prière en ce jour unique où le Seigneur a permis que tous les cœurs battent à l'unisson. En tous pays, nous avons grandi dans la croyance que les Souverains ont une sainte mission à remplir ; aux yeux de notre peuple tout entier, le jour de notre couronnement doit être un jour de prières et d'actions de grâces envers le ciel, un jour où nous nous agenouillons- avec humilité pour nous souvenir de notre serment non seulement de régner, mais aussi de servir. Nous avons servi avec toutes nos lumières et l'âme débordante d'amour, soutenus par l'espoir, fermement appuyés sur une confiance inébranlable dans notre peuple. . Long a été le chemin qui nous a conduits à ce jour, long, difficile et rempli de sacrifices, et long et difficile devant nous s'étend encore le chemin enveloppé du mystère de l'avenir. ' Mais les cloches sonnent... elles appellent tout homme à la joie, à la joie et non pas à la crainte, non nas à 1a haine, non nas au doute. Elles ont des voix si puissantes, insistantes, dont la sonorité s-'épand sur tout le pays, pénétré d ns tou~ le- recoins qu elle ! me semblent être les batte ments de mon propre cœur et chacun des battements évoque un souvenir qui me rainene eu -arrièic par k. long long chemin par où je suis venue, en arrière, tout a fait en arrière, au temps ou j étais petite fille, toute petite fille aux blonds cheveux, vivant: cians une pairie lomraïue où régnait une Reine très vieille... Cette Reine très vieille est ma grand'mère, elle vit dans un château très grand aux murailles de sombre granit, habité par les fantômes de rois des anciens temps. Elle est petite, cette Impératrice, très vieille, et son sourire a conservé quelque chose de la timidité d'une fillette ; mais ses fils grisonnants eux-mêmes tremblent devant elle, et son nom est le plus grand qui soit sur toute la terre. Je la vois venir vërs moi dans un corridor qui semblait interminable à ma vision enfantine. Les murs sont ornés de magnifiques tableaux anciens et la petite et vieille Souveraine s'appuie au bras d'une servante, hindoue vêtue de blanc. v Comme elle est petite! Et son costume est. pareil à. celui de sa jeunesse, mais il est noir pour marquer, que jamais elle n'oublie le deuil de son veuvage. Oui, elle est toute petite ! mais quel' respect prodigieux elle impose, quelle grandeur elle a ; quand elle s'arrête pour regarder par une des fenêtres ouver tes, elle jette les yeux sur les étendues.du parc, immense et sans fin comme les beautés de la nature que nous voyons dans nos rêves. Verte est l'herbe et gigantesques les arbres* mais les allées sont planes comme une table : c'est l'Angleterre, la belle Angleterre, le pays où je.suis née... A nouveau, je regarde la petite, la vieille Souveraine ; mais avec des yeux plus avertis, car j'ai grandi et suis devenue fillette. Elle est conduite dans un fauteuil rouge à roulettes sur le pont, d'un superbe navire qui glisse doUcèment sur le front de bâtiments de guerre rangés en ligne, monstres de fer avec des canons tonnants, et toute cette immense flotte salue la petite vieille Souveraine sur son fauteuil rouge. Les pavillons flottent, les musiques retentissent, et des milliers et des milliers de marins acclament de "toutes leurs forces. Et la reine .de Grande-Bretagne et d'Irlande, impératnee des Indes regarde tranquille ment ce prodigieux spectacle... , Et je la revois encore une fois. C'est dans la sainte et vieille Eglise mo nastique où elle fut couronnée, il y avait soixante ans. et où furent couronnés avant elle une longue suite de ses ancêtres. Elle est assise sur le trône gothi que où il n'est permis de s'asseoir qu'au Roi et à la Reine. Les rayons qui traversent les verrières, tout à fait en haut, déroulent à ses pieds une sorte de tapis merveilleusement nuancé. Faible et toute petite et très vieille apparaît cette grande Reine qui a régné soixante ans,'mais ses enfants et ses petitsenfants sont assemblés autour d'elle et quand elle promène, son regard de visage eu visage, peut-être qu'elle voudrait.savoir la' destinée de chacun? Les cloches sonnent, sonnent... et, aujourd'hui, moi sa petite-fille, je vais être couronnée aux côtés du compagnon de ma vie, et, en écoutant les voix légères des cloches, je me demande si la vieille, très vieille Souveraine est quelque peu contente de celle qu'elle a envoyée dans une patrie lointaine pour continuer une tradition à laquelle elle croyait ; maintenant, à mes côtés, se tiennent deux de ses arrière-petites-filles et elles sont Reines—Reines jeunes, très jeunes — et moi, leur maman, l'âme débordante d'espoir, de confiance dans l'avenir, je pense qu'elles aussi suivront fidèlement les traditions héritées de leurs parents et de leurs ancêtres. Et les cloches sonnent, sonnent,sonnent... r MARIE, Reine dé Roumanie....