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Le Figaro, 3 mars 1886

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Le Figaro
3 mars 1886


Extrait du journal

i jôurd'hui'bien souffrante,— était venue au-devant de nous. Elle nous fit entrer dans la chapelle. A la porte, on voyait, commê à l'entrée des mosquées, une rangée de sandales. C'étaient des galo ches d'enfants, qu'on eût dit des sandales dé poupées ! , Dans l'intérieur,on apercevait untas de petits bancsd'ouvreuses de loges, comme dans les couloirs de théâtre, avant et après, les représentations. Ce sont" les sièges des enfants. Dans cette chapelle, on baptisait les petits. Certaine fille de service, qu'on m'a montrée, est la marraine de huit cents enfants. On ne baptise plus! Dans huit jours, seront effacées toutes les inscriptions religieuses — et cassés (sic) les statues ou bustes-deSaint-Vincent de Paul. Saint-Vincent de Paul — ce grand homme admiré.par les siècles et les peu ples... Déjà on a effacé l'inscription «Mon père et ma mère m'ont abandonné. Le Seigneur m'a reçu;» C'était peut-être dur, mais les petits ne savaient pas lire! Le premier préau que nous vîmes est celui des enfants du Dépôt. Là. sont-réunis les enfants des prisonniers ou des malades d'hôpital, que personne ne peut recevoir pendant l'absence de leurs pa rents. L'enfant du malheureux et l'en fant du criminel ont la môme blouse bleue. • Ma compagne regardait à peine. Elle avait son idée fixe sur ceci : Il ne faut jamais s'occuper- d'un enfant que ses parents ..pourront un jour réclamer, méchamment ou non. Nous montons le grand escalier en bois, dont est si belle la vieille balus trade sculptée! Parles fenêtres, la Sœur nous montre les jardins pleins de soleil le gymnase — et, tout au fond, le pe tit amphithéâtre des morts. Inutile d'aller là! Cependant, je reconnais que "l'admi nistration a enfin remplacé ici le cer cueil banal que j'avais attaqué ailleurs. Tous les petits cadavres, qui, sur la table de dissection, semblent des angelots de marbre tombés d'une frise—auront des cercueils, appelés violons dans le voca bulaire des Pompes funèbres. Un de nos lecteurs avait jadis offert de payer un cercueil qui semble nécessaire, comme un bateau, à tout embarqué pour l'Eter nité!... Voici l'infirmerie 1 Chez l'enfant, la douleur morale disparaît aussitôt que s'apaise la douleur physique. C'est un mélange de rires et de tristesses. Une personne charitable a envoyé da grandes poupées.Sur un lit, deux êtres entrelacés dorment. On né sait qui est la poupée et qui est l'enfant ! Les tout petits .ont devant leurs yeux, suspendues par un fil, des boules de cristal où la lumière joue. La lumière est la première chose que cherche l'homme... Voici la salle des nourrices. L'enfant trouvé a toujours des nourrices garan ties, alors que l'enfant pauvre n'a que les 25 francs, c'est-à-dire les nourrices non garanties. L'enfant trouvé'n'est pas charrié par le meneur de nourrices dans l'affreux véhicule que le peuple appelle « le Pur gatoire». " Les sœurs s'occupent, avec le plus grand soin, des nourrices. Celles-ci sa vent que l'enfant douteux est remis aux nourrices à biberon, c'est-à-dire les va ches dont on voit l'écurie par la fe nêtre. Quand la sœur partira, la bonne nour rice s'en ira... La suppléante,, notre cicerone, dit : « Madame, maintenant nous allons voir ce qui cause notre orgueil, la Crèche. » • En effet, c'est une merveille 1 ### Imaginez une immense salle.éclairée, à chacun des deux grands côtés, par douze larges fenêtres. On y voit trois rangées de vingt-quatre berceaux, à ri deaux blancs ! Tout y est d'une pro preté outrée. On y constate ce ton blanc si éclatant qui est le secret des sœurs de Saint-Vincent de Paul, comme certaine composition de l'encens est le secret des Carmélites. A ce moment, une bonne apportait un nouvel arrivé, pas même âgé de plusieurs jours. Elle s'approcha de la haute cheminée, où brûlent de grosses bûches. Le petit dort. Pensez donc! combien il doit être fatigué du voyage ! Hier, son âme a fait la route inconnue qui mène de l'au delà, de je ne sais où, à celte terre — et ce matin, il a fait, sous le bras d'un garçon de commissariat de police, le chemin de la Bastille à la rue d'Enfer! La médaille, avec figure de Saint-Vi ncent de Paul, va être remplacée. La bonne met le collier d'olives qui rem place les anciennes boucles d'oreilles Le peuple appelait les enfants trouvés — les perce-oreilles. Toutes ces bonnes de là crèche, vêtues de blanc, sont célèbres par leur excel lente tenue. Quelques-unes sont très jo lies. Les Sœurs les choisissaient à la campagne, dans l'immense personnel que gouverne l'Assistance publique. Elles ne sortaient jamais seules dans Paris. Les Sœurs n'avaient jamais voulu donner pour domestiques à leurs amies du Monde, quelqu'une de ces rares jeunes filles. Elles savent, ce qu'est un dortoir de domestiques, sous les toits ! Elles mariaient ces bonnes vers l'âge de vingt-huit ans... La jeune Sœur supérieure de la Crèche appartenait, il y a quelque temps, à l'une des premières familles du plus ancien faubourg Saint-Germain. Elle était in-, comparablement jolie. Cela fait que tous ces enfants trouvés étaient servis plus grandiosement et plus joliment que pas un petit Infant d'Espagne! Désormais le lecteur , se doute de ce^ que va devenir ce service étonnant petites bonnes de la Crèche ! Ce/Sera peut-être un conservatoire munirai 1...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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