Extrait du journal

Un de nos confrères, qui a eu long- , temps ses entrées aux Tuileries, grâce à des relations d'amitié avec quelques personnages les plus intimes de l'Empe reur, veut bien nous laisser copier, dans une espèce de journal qu'il à écrit jour, par jour, pendant une dizaine d'années, les pages suivantes qui datent de mars' 1867, epoque à laquelle le général Frossard fut nommé gouverneur du prince impérial. voici comment le général raconte son entrevue avec l'Empereur : —r Ça été chose bien simple. Sa Majesté m'a fait appeler, il y a dix ou douze jours : — Mon cher général, m'a-t-il dit, je m'étais promis une bien grande joie, après celle d'avoir eu un fils : c'était de l'élever. Je m'ap-erçois que je ne le peux pas. Les affaires, le travail, la' fatigue, ne me le permettent pas. J'ai donc pensé à vous. Voulez-vous élever Louis? Je n'ai aucune recommandation à vous faire, aucun programme à vous tracer ; je vous dis simplement : Voulez-vous faire ce que j'aurais voulu pouvoir faire moi-même ? L'Empereur me prit la main, et j'ai senti qu'il allait pleurer. Je n'ai rien répondu; mais j'ai fait un signe de tête affirmatif. J'é tais ému, "moi aussi ; je n'ai pas vu tout d'a bord le souverain me confiant l'héritier de sa couronne; j'ai vu uniquement le père me con fiant son fils, comme un homme qui va mou rir laisse à son meilleur ami ce qu il a de plus cher au monde: Pourquoi ai-je eu cette im pression ? Je ne sais. Mais il y avait dans les paroles de Sa Majesté un tel accent que j'ai cru entendre, pour ainsi dire, la lecture d'un testament. Enfin, j'ai parlé et j'ai dit : oui. L'Empereur m'a serré la main, et, le pre mier moment d'émotion passé, j'ai voulu de mander quelques instructions à Sa Majesté. L'Empereur m'a interrompu : — Vous ferez, mon cher général, ce que vous voudrez ! Je n'ai plus rien à vous de mander ! Ca fut tout. Seulement, le lendemain, je suis revenu à la charge. J'ai trouvé l'Empe reur avec l'Impératrice. L'Impératrice m*a donné quelques instructions, de celles que donnent toutes les mères. Quant à l'Empe reur, il n'a rien dit. Je me suis enhardi alors à poser des conditions.; et j'ai été très net. J'ai pri é l'Empereur et l'Impératrice de pré venir le père et la mère de 1 enfant que j'en tendais les recevoir le moins possible chez mon élève, c'est-à-dire chez moi. J'ai promis de fixer des heures de sortie, et j'ai exigé qu'on ne vint jamais se jeter dans mes jambes en dehors de ces heures-là. J'y tiens beau coup, voyez-Vous. #*# Puis le général parle de son élève. — Il est charmant. Il n'a rien d'extraordi naire, et, j'en suis aise. Il est ce que j'appelle rai, comme aptitudes et comme intelligence, de la bonne moyenne. Pils d'un bourgeois, conduit au collège, il serait le quinzième ou le vingtième dans une classe de trente élèves. Ses aptitudes particulières ne sont pas en core bien marquées. Il mord peu aux études littéraires, aux humanités, latin et grec; pour les mathématiques, il n'a encore rien d'extraordinaire. Mais s'il a un goût très marqué, c'est pour le dessin.' C'est étrange : un Bonaparte artiste. Us sont rares dans la famille. Eh bien ! si on le laissait faire, le prince dessinerait toujours. D'un autre côté il est très hardi et très courageux. Mais vous savez : je ne veux pas imiter ici la plaisan terie de ces maîtres de pension, qui ne pou vant donner de couronna aux élèves les moins intelligents, décernent des prix de gymnastique pour flatter l'amour-propre des parents. Je laisse cela de côté, et je veux des études sé rieuses....