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Le Figaro, 1 septembre 1932

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Le Figaro
1 septembre 1932


Extrait du journal

Cette station thermale était délicieuse. Posée sur le bord du lac changeant qu'abritaient de longs saules défrisés, elle s'adossait à une colline couverte de châtaigniers et de mélèzes. Un grand poète avait jadis consacré ce lac et ces bois, en y chantant ses amours. Aujourd'hui, comme de son vivant, on voit passer, de la place où il venait s'asseoir, les bar ques des pêcheurs d'ombres, au travers des roseaux. Depuis cent ans, autour des sources, une ville inégale s'était groupée, les maisons, peintes de cou leurs claires, semblaient aussi disparates qu'une bande de pigeons, de toutes les races du monde. Non seulement la ville était charmante, ce qui cons titue actuellement, dans un beau paysage, une au baine, mais ses eaux, chaudes ou froides, se révé laientefficacès : le goutteux en sortait allègre, et le podagre gambadant. Certes, pendant la belle saison, on y coudoyait une société mêlée de book makers et de tenanciers véreux, de messieurs bien mis mais insolvables, et de prestigieux joueurs de poker. Mais quoi ? Par le temps qui court, quand on sort de chez soi, convient-il de se montrer diffi cile ? Toute cette clientèle, du reste, disparaissait aux premières pluies, laissant le pays intact, livré aux plus belles flammes de l'automne. Hélas ! les jours passent. Un vent de folie a soufflé sur les monts (quand donc classera-t-on les paysages ?) et menace un pays privilégié, dont le renom n'est dû qu'à la splendeur. La ville a voulu s'agrandir, offrir à ses arthriti ques de plus larges piscines, et des douches plus mo dernes. Très bien. On démolit donc, on reconstruit à tour de bras. Malheureusement, la maison du poète s'élevait là, proche des chantiers, elle allait périr dans l'avalanche. Elle eût péri, en effet, si un groupe de fervents n'eût réussi à sauver de ce chaos, non pas toute la maison, vous pensez bien, mais les deux pièces de la célèbre demeure, que l'amant habita avec sa maîtresse, épaves touchantes d'un passé que dédaignent nos instituteurs. Mais cela n'est rien. Depuis quelques années déjà, on parlait dans la ville d'amener le lac au pied du casino. Ce lâc se trouvait bien loin, en vérité ! et ne pour rait-on pas, au moyen de gentilles écluses, de bar rages, de réservoirs « artistiques », le rapprocher du pauvre promeneur fatigué ? Le projet, toute fois, paraît impraticable ! C'est alors que la vogue des « beach » (!) se fit sentir. Plusieurs stations possèdent des plages aménagées avec art, celles qui n'ont pas de lac, construisent (comble du ridicule), des sortes de viviers pour humains, au bord des rivières. La municipalité de notre station thermale, stimulée par la grenouillère de Juan-les-Pins, a dé cidé, elle aussi, de posséder une plage et des flon flons. Déjà un haut-parleur accompagne les ébats du touriste au bain : signe de progrès. On ne peut nager dans le lac, sans entendre Dranem nasiller La Bougeote,, et lorsque, las de ces harmonies, qui éclatent maintenant dans les endroits les plus dé serts. on souhaite de déjeuner en paix (exigence inouïe), il est nécessaire (ô honte !) de frapper à plusieurs portes. Demain, les terres provenant des travaux de la ville seront transportées au bord des eaux, la station aura sa plage, qui sera formée de ces débris. Sur cette plage s'étaleront, sans vergogne, les acadé mies les plus diverses. Ce n'est pas tout : on pro jette encore d'assécher les champs fertiles qui font suite au lac, d'abattre les peupliers et les vignes. A leur place, on plantera des maisons en ciment armé, qu'égaieront des affiches réclames : palaces ou apéritifs, et la municipalité se réjouira, croyant fermement que détruire c'est progresser. Mais il viendra un jour où les habitants, assagis, regrette ront leur verdure et leurs treilles : trop tard. Les mai sons de ciment, hantées par les maringouins, seront désertes, car les baigneurs iront chercher à l'étran ger la guérison, les arbres verts et le divin silence, introuvables désormais chez nous. Marie-Louise Pailleron....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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