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Le Figaro, 2 août 1936

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Le Figaro
2 août 1936


Extrait du journal

J'ai rencontré hier, dans les ChampsElysées, un garçon que je croyais mort, parce .qu'on ne voyait que lui partout et qit'pn, né le voit plus nulle part. Au tèmps dés salles à manger où l'on cause, il était l'indispensable. Les bonnes hôtesses prenaient son jour ; s'il avait un empêchement, elles remettaient leur dîner ; et si c'était à la dernière minute qu'il leur fît faux bond, il ne fallait pas les perdre de l'œil : elles eussent fait le geste irréparable de Vatel. Elles avalent toujours à leur portée au moins une épée d'académicien. Bref, il était nourri. Il devait cette fortune à un talent singulier qu'il avait pour faire prendre- à la blague les choses sérieuses et rendre risibles les choses tristes. Plusieurs personnes, moi entre autres, goûtaient peu ce genre-là. 11 mè rappelait une phrase charmante d'Amants : « Je suis celui de qui les femmes disent": Tu n'inviteras plus ton ami. » Mais les femmes ne le disaient point, et ceux qui l'avaient sur le bout de la langue étaient la minorité. Comme le soleil, poursuivant sa carrière, il ver sait des torrents d'esprit sur ses obscurs blasphémateurs. Il était le boute-en train, et principalement irrésistible dans les récits gais de catastrophes. Puis iJ avait fait le plongeon... — Quel revenant I m'écriai-je du ton le plus aimable, après un rapide examen des lieux qui ne m'avait laissé aucun espoir de lui échapper. Aviez-vous quitté Paris, la France ? — Non, me répondit-il, mais je suis en chômage. On ne m'invite plus. On a supprimé mon emploi. On pourrait bien «n'inviter tout de même... Les gens d'à présent ne comprennent plus la philo sophie de Figaro : s'ils se pressaient de rire de tout de peur d'être obligés d'en pleurer, ils croiraient manquer de dignité. Sinistre époque I — N'en dites pas trop* de mal, lui rôpondis-je doucement : vous m'en feriez dire du bien par esprit de contra diction. Quand j'étais jeune, et çe n'est pas hier, nos aînés nous reprochaient déjà notre sérieux et soupiraient : « La vieille gaîté française est morte. » Entre nous, j'incline à croire qu'elle n'a jamais cessé d'être morte depuis précisément qu'elle est née. Et puis, j'admire Beau marchais, mais vous venez de me faire aviser que la fameuse réplique du bar bier, si on la' prend pour autre chose qu'une plaisante boutade, va contre les règles de l'à-propos et du goût. Il ne faut pas rire, même provisoirement, des choses qui sont à pleurer. Il ne faut pas, autant que possible, rire aux enter rements. Vous me rappelez un mot de directeur — de directeur de théâtre. Pour une scène, très dramatique et très violente, qui se passait au clair de lune, il avait imaginé, un effet de décor dont il était très fier. Figurez-vous qu'on voyait l'astre des nuits passer lentement du côté cour au côté jardin ! A la répé tition des couturières, il y eut une panne. Je lui dis : « Il faudra renoncer » à votre lune, on rirait. » Il me répon dit : « Je ne serais pas fâché qu'on » rit à cet endroit-là, ça les déten» drait. » Je lui objectai que ça ne les détendrait pas du tout, et que je pré» férais qu'on ne rît point. Abel Herniant, de l'Académie française....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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