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Le Figaro, 2 mai 1921

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Le Figaro
2 mai 1921


Extrait du journal

J'avais dit à ma gouvernante : « Vous n'ê tes ni organisée ni consciente, mais demain c'est la fête du Travail,'reposez-vous ! » Com me elle est habituée à mes lubies, elle est par tie dès le petit jour pour voir sa tante à Montreuil. „ Pour moi, à mon. réveil,-décidé à exécuter, scrupuleusement les consignes que je m'étais imposées, j'ouvris la porte, de l'escalier de service, i'découvris la bouteille de.laiti.Jes pe.: tits pains et'les journaux. ' -t Quoi ! m'écriai-je. Ce lait est du lait de jaune ; ce sont des sarrasins qui ont ccmposé ces feuilles, et le pain a été pétri par ' des mains infidèles... Je ne trahirai pas les intérêts de la classe en me rendant complice de ces faiblesses. Je reppussai les journaux, le lait et le pain, et m'en fus procéder à ma toilette. L'électricité fonctionnait, le gaz avait sa pression habituelle et, le robinet tourné, l'eau jaillit abondamment. — Camarades ! auriez-vous renoncé à vos justes revendications ? Camarades, ne seriez-vous plus décidés à embêter les bour geois comme il faut ? Habillé, je sortis. Avant que je l'en prias se, un conducteur de taxi rangea sa ma chine sur le bord, du trottoir. — Mon prince, si vous voules-monter ... — Non, citoyen' ! Aujourd'hui, je fête le prolétariat conscient, je «rais à. pied. Je ne nie rendrai pas complice . d'une désertion qui... — Ça va ! fit le prolétaire en donnant un; petit coup d'accélérateurs, et il partit ,en haussant les épaulés. J'errai dans les rues : les marchands et les boutiquiers servaient une clientèle ani mée ; des ménagères revenaient chargées de langoustes et de bottes d'asperges. Les gar çons épiciers étaient souriants, et les gar çons bouchers, ne semblaient pas attristés; par leur barème ; de lourds autobus faisaient trembler les vitres des rues étroites, et les gens pressés s'engouffraient dans les stations béantes du- Métropolitain... J'eus une sensation de découragement. Quoi ! cette fête qui depuis deux ans était si complète et si parfaitement impopulaire, cette fête qui montrait à la France entière que la volonté de quelques-uns suffisait pour arrêter la vie d'un pays malgré l'opposition résignée du plu» grand nombre, cette fête qui faisait trembler les gens timides, ce grand jour qui faisait présager le grand soir retomberait-il dans l'oubli et ne mériterait-il plus que du dédain, se rangerait-il avec le mardi gras dans les fêtes qu'on .ne carillon ne plus ? Une gamine s'approcha de moi : « Du muguet, monsieur ? Ça porte bonheur. » Je répondis vivement : « Citoyenne, ce sont des églantines que vous devriez vendre ! » Mais elle me regarda avec des yeux rieurs : u C'est-il, des fois, que vous seriez piqué ? » Et ayant senti que l'heure n'était plus aux grands espoirs, j'ai abandonné moi aussi ma ligne de conduite, je me. suis assis à la ter- i rasse d'un café, j'ai regardé passer les pro meneurs nonchalants, j'ai renoncé à mes ambitions politiques,, et j'ai regardé le ci toyen Georges Piocli prendre un demi, com me tout le monde, sans reprocher aux cama rades limonadiers d'avoir renoncé à la lutte de classes. Robert Dieudonnè....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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