Extrait du journal

gonflé de 2 ou 3 mètres au plus, et cette pluie noire filtrée en source au rait agrandi d'autant les deux torrents pour les semaines où le flot leur fait un peu défaut. Et certainement le Charmaix ne se serait point rassemblé en lac der rière la levée qu'il a cassée ensuite pour le malheur de Fourneaux. Il est mainte nant surabondamment démontré que la nudité des pentes est la seule cause de ces énormes désastres. Personne aujourd'hui n'en doute : ce qu'on nomme d'un mot l'armature du sol, la forêt, son couvert, son feutrage, l'humus dont elle sort (et qu'elle a créé), la petite vie animale qui creuse en tous sens, qui draine et mobilise à de grandes profondeurs le sol sous le sous-sol, voilà ce qui conserve les pentes,économise les eaux, pourvoit les sources, prévient les déluges. Or tout cela, nous le laissons détruire, comme à plaisir ! Tous les dix ans un drame immense, une Garonne, une Loire, un Rhône en délire,et cinquante, cent millions enfouis dans le sable et la vase à côté de cer cueils de victimes, par centaines; tous les ans une catastrophe, tous les.mois un Charmaix qui s'amuse, une ligne in ternationale coupée, un pont dont les débris tournoient dans un torrent qui jongle avec des rochers du poids de Q00,000 kilos. Si ce n'est pas assez, que vous faut-il donc, à vous l'Etat, le département, la commune, le syndicat, la 'compagnie de chemins de fer? Et que nous faut-il pour nous émouvoir, nous les bons patriotes, amis désintéressés de la France? Sommes-nous devenus tellement aveu gles que nous ne voyions pas le préci pice auquel nous courons? Encore cent ans d'extirpation et nous n'aurons plus ni monts assurés dé vivre, ni rivières régulières, ni grandes sources immor telles, ni climat « occidental ». Nous nous acheminerons vers le Désert ! Le mal est là, visible, palpable, cer tain ; ce mal est le déboisement. Reste rons-nous les bras croisés devant lui ? Et puisque,pour reboiser efficacement, il faut l'assentiment des montagnards, donnons à ceux-ci la seule chose qui les intéresse, de bons pâturages pour leurs bestiaux. Ce jour-là, la cause du reboisement sera gagnée ! Qu'on emploie donc une partie du cré dit de 3 millions affecté, au reboise ment (et qu'on n'utilise même pas entiè rement), à l'amélioration des terrains en montagne et des pâturages ; qu'on relève le crédit ridicule de 14,000 francs affecté aux améliorations pastorales, et on pourra alors aborder sérieusement VOEuvre du reboisèment""" "" : On a dit et redit que l'opinion publique peut tout. Qu'elle naisse donc, cette opinion que le salut de la France, non pas seulement de la France, mais de la terre entière, est dans là conservation, la restauration, l'extension des bois et des pâturages. S'il se peut, qu'un homme d'initiative et d'action cherche et trouve sa gloire dans cet apostolat, puis, et le plus tôt possible, qu'un homme d'Etat fasse pas ser dans la loi, le règlement, l'exécution pleine et entière, l'entreprise inexprimablement grandiose de la « revivification », sans retard, sans à-coups, sans phrases et sans paperasserie. Souvenons-nous du Charmaix, nous qui n'avons pas l'air de nous être souve nus de la Garonne de 1875. Si nous oublions le Charmaix, soyons sûrs que, dès demain, un autre torrent, voire un méprisable ravin, nous criera : « Mémento ! » On entend tout ce qu'on veut dans la chanson des cloches ; il nous semble bien qu'elles disent : « Reboisons, reboisons, reboisons encore ! » A. Ballif, président du Touring-Club de France....