PRÉCÉDENT

Le Figaro, 3 décembre 1881

SUIVANT

URL invalide

Le Figaro
3 décembre 1881


Extrait du journal

A peine la note a-t-elle paru que voilà les clameurs qui commencent : «Qu'est-ce que vous avez fait? On ne publie pas de pareilles choses 1 Et, d'ailleurs, vous n'avez rien inventé. C'est tout au long dans les circulaires confidentielles en voyées chaque année. C'était le mo ment ou jamais de laisser ces règlements tomber en désuétude ! » «La situation des préfets est déjà assez pénible. Vivre absolument en quaran taine dans une ville où personne ne vous salue, n'estpas gai. Les préfets n'accep taient cela qu'à condition d'aller- à Paris, se retremper un peu, se distraire. « Et pour la dignité de la Répu blique, cela valait mieux ainsi. Au moins, les apparences étaient sauvées ; le jour > où la société se réjouissait d'infliger au I représentant du gouvernement la flétris sure de l'exclusion, il pouvait paraître dédaigner la fête donnée, parce que de graves sujets l'appelaient dans la capitale. » La nouvelle circulaire les plonge en plein- dans l'humiliation, les rive à la chaîne. » Ce sont là des vexations inutiles. Et d'ailleurs, grandir la situation du préfet, c'est nous enlever l'arme sur laquelle nous comptions pour le scrutin de liste. » Il faudrait cependant réfléchir avant de prendre la plume !... » Et .voilà.ce malheureux jeune hom me, qui, jusque-là, n'avait eu que des succès, maudissant les honneurs et re grettant son conseil d'Etat. " Pendant ce temps, dans le ministère à côté, se débat une autre victime, l'excapitaine de vaisseau, qui, lui aussi, a été bombardé ministre. S'il était -franchement civil, comme M. Chasseloup-Laubat, il ne serait pas gêné pour s'adresser à des amiraux. Mais, ancien officier de marine, il n'est pas dans son équilibre pour commander ■ses anciens chefs. Alors, craignant de jmanquer de pres tige, gêné par le souvenir de ce qu'il au rait éprouvé lui-même si un enseigne de vaisseau était jamais venu lui donner des ordres, il veut s'affirmer, montrer de suite qu'il, est « quelqu'un. » Et s'adressant à ses supérieurs, il leur dit le plus sérieusement du monde : «Messieurs, aujourd'hui j'ai droitavant tout à votre estime et à votre obéissance ; à votre estime, car toute ma carrière l'impose, je le dis avec fierté I » Votre obéissance, vous me la devez, au nom de toutes nos lois ; l'obligation en est écrite dans tous nos codes !! »Ne vous dissimulez pas que vous avez besoin de gagner ma confiance; je :ne la donne jamais légèrement : les "paroles ne sauraient me suffire, et il me faut des actes. Je compte donc sur votre collabo ration, sur votre concours éclairé... » (1). A peine ce speech est-il connu, que voilà les récriminations qui commen cent. « Qu'avez-vous fait? Est-ce qu'on parle comme cela ? «Maisvousne savezdonc pas que quand on dit aux gens qu'ils vous doivent obéis sance et respect, c'est avouer qu'ils pour raient bien en manquer si on ne les en avertissait pas. » Est-ce que jamais lëmaréchal Canrobert ou le duc d'Aumale aurait l'idée de dire aux soldats : Vous me devez le res pect ? » En tenant un pareil langage, vous par lez comme un capitaine; un capitaine qui a peur de n'être pas pris au sérieux par ses chefs. » Vous avezvoulufairetrembler et vous faites rire ! » Un peu plus loin, le pauvre M. AllainTargé subit d'autres mésaventures.Tout d'abord, il est arrivé radieux. — Comment, s'est-il dit, c'est moi, an cien radical, qui suis dans la citadelle du parti conservateur, c'est à moi qu'on a confié l'argent de la France I Et alors, avec cette intempérance des démocrates, parlant, sans prendre le temps de respirer, il dit aux financiers: « Messieurs, je veux signaler mon mi nistère par deux choses : la conversion de la rente et l'acquisition du chemin de fer d'Orléans, les - grandes réformes viendront après. C'est ma volonté for melle. » A peine la nouvelle est-elle connue que voilà une rumeur terrible à la Bourse, à la Banque, voilà une baisse sur les va leurs, un ébranlement de la confiance publique... «Qu'est-ce que vous avez dit ? C'est im politique, tout cela se fera plus tard, mais il ne fallait pas le dire, la conver sion ferait trop de mécontents. Quant aux chemins de fer, on ne nous donnerait pas d'argent — nous avons déjà assez d'embarras. » Quand on vous demandait de faire quelque chose, c'était d'annoncer quel que grand projet vague, comme a fait M. de Freycinet : six milliards de chemins et de canaux, ça donne du travail à tout le monde et ça ne fait de mal à personne !» Mais, le plus décontenancé de tous, c'est encore M. Paul Bert, car ce vaillant coupeur de chiens était parfaitement sincère dans son horreur du prêtre et de Dieu, ce n'était pas du tout une comédie pour arriver au pouvoir. Et alors, comme il est sincère, le voilà qui, une fois ministre, se dit : quelle belle occasion de persécuter le clergé aujourd'hui que je suis son chef! Comme je vais être soutenu par tous les jour naux qui m'ont encouragé jusqu'ici dans ma guerre anticléricale. Et prenant sa plume de Tolède, il dit : « Evêquesetcurés, je viens à vous comme le gendarme chargé de la police. Vous n'avez qu'à vous bien tenir ! etc., etc... » A peine ce discours est-il connu, que voilà des clameurs plus grandes que pour les autres ministres 1 «Qu'est-ce que vous avez fait? Votre nom était déjà une déclaration de guerre ! Vous provoquez inutilement le clergé, sans l'abattre, vous tournez contre le gouvernement tous les libres-penseurs qui .l'avaient soutenu jusqu'ici.» Et alors, l'infortuné s'apercevant qu'en effe%il est abandonné par des journaux comme le National et la France, les Dé bats et le Temps, le XIXe Siècle et le Télégraphe, s'écrie qu'il n'y a rien à faire avec les républicains actuels, qu'ils sont (l) Absolument textuel....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

En savoir plus
Données de classification
  • jourde
  • gambetta
  • paul bert
  • waldeck-rousseau
  • courcel
  • drouyn de lhuys
  • desprez
  • boulay de la meurthe
  • de talleyrand
  • longuet
  • paris
  • france
  • nantes
  • allemagne
  • londres
  • chambre
  • neuilly
  • eve
  • orsay
  • rochefort
  • la république
  • sénat
  • heidelberg
  • union
  • drouot
  • république française
  • f. m.
  • parti conservateur
  • parti républicain
  • eurêka