Extrait du journal

Qui. donc, et même le plus sage, ne rêverait, en cet amer hiver, de s'envoler vers des climats formés d'un azur chaleureux ? On en ferait une chanson : Nature, enseigne-moi ton art, que je vole comme un canard, et me donne une paire d'ailes pour imiter les hirondellesMais les destins nous laissent en notre ville, où les murailles se font en quelque manière plus épaisses autour de notre captivité» Que n'imitons-nous les castors et leur résignation ! M. À. Hugues nous rapporte précisément au Bulletin de la Société nationale d'Acclimata tion que M. Julien Ferrand nourrissait, à Nîmes, quelques-uns de ces animaux < dans son grenier, au quatrième étage... Ils séjour naient dans une baignoire en zinc, une cuvette remplie d'eau faisant office du fleuve absent ». C'est vraiment Andromaque et : son faux Simoïs ; mais déjà vous rêvez au héros de J.-K. Huysmans, qui pensait faire le triton aux vagues bleues, en respirant, à Paris, dans son bain, un petit morceau de câble qu'il avait acquis « dans l'une, de ces grandes corderies dont les vastes magasins et les sous-sols souffient des odeurs de marée et de port ». Pourtant, je songe encore au soleil de l'été et qu'un paysan, à la fin d'une après-midi, me disait naguère : < Il est cinq heures. » Et, comme il n'avait pas de montre : « Où le voyez-vous, lui demandai-je, au soleil ? — Non, au pigeon ! » Un pigeon, en effet, venait de se poser au bord de' l'abreuvoir et buvait l'eau tranquille, comme il fait tous les jours, un peu avant le crépuscule, à la même heure. Mais l'heare pour nous, à.Paris, loin de se rattacher sans cesse à quelque vivante réalité, n'est plus qu'une abstraction désolée. Les étoiles n'y jouent aucun rôle ; et qui les voit, au reste, sur. cette ville où la lumière de nos boulevards nous dérobe si bien le ciel ? Le soleil, que nous n'apercevons guère, tant il est de mai sons qui nous le cachent, ne nous renseigne pas mieux ; et qui pourrait se vanter, en nos rues, de distinguer, à la façon de Virgile, les ombres des réverbères qui s'allongent pour annoncer la nuit ? Nous vivons résolument exclus de la nature et, seule, ou peu s'en faut, la pluie nous rappelle, quand elle s'abat sur nos trottoirs, qu'il est ailleurs d'autres averses et des prairies et des forêts où les oiseaux se taisent sous l'eau qui mouille leur nid. Ne croyez-vous pas que nos pensées et nos propos se puissent ressentir d'un si grand éloignement des choses naturelles et de la terre vivante, notre antique et toujours jeune et robuste nourrice ? Ne songez-vous pas que bien des systèmes, qui savent enchanter l'opi nion et qui ne sont pourtant -que vaines rêve ries, tiennent leur faiblesse et leurs contra dictions de cette sorte de prison des villes où ils furent conçus et où ne pénètre plus, à l'accoutumée, aucune lueur de la sagesse qu'on goûte et qu'on admire aux travaux des paysans ? Ceux qui sèment et qui récoltent savent qu'il ne faut pas demander à la terre ni à l'esprit les fabuleux trésors où s'enivrent nos songes qu'égarent la civilisation et ses artifices ; mais, aux champs et dans la luzerne, la nature parle aux hommes. Elle les enseigne et, tandis que nous vivons au tic-tac, toujours le même, de nos montres, c'est un oiseau qui leur dit l'heure. Tristan Derèm*....