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Le Figaro, 4 juillet 1928

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Le Figaro
4 juillet 1928


Extrait du journal

Des esprits et des cœurs romanesques, en existe-t-il encore ? On sait bien que non. On le sait trop. On le déplore, en vers; en prose, avec mille commentaires attristés, où perce une vanité secrète : hommes ou femmes, ne connaissons-nous pas. quelque fierté à nous sentir affranchis des illusions qui faisaient à là fois le malheur et le ravissement - de - nos pères? L'aventuré de Pétrarque et de Laure ne sferait plus possible aujourd'hui. Vous en êtes bien sûrs, n'est-ce pas ? Ecoutez donc cette histoire. Des poètes, des hommes politiques, des écri vains, des artistes — un petit nombre de pri vilégiés, au total — ont reçu, ces jours der niers, un volume dé vers somptueusement édité ; au-dessus du titre : Diane, histoire d'un amour, à la place du nom de l'auteur, rien que trois énigmatiques étoiles. Un avis infor mait chacun des destinataires qu'il figurait dans le testament du poète sur une liste dressée avec soin : celle des hommes «pour qui le disparu avait une particulière estime, et aux quels il désirait que son livre fût envoyé». Dans une préface émouvante et sobre, l'un des exécuteurs testamentaires ajoute quelques renseignements discrets. Mort « il y a cinq ans, à peu près ignoré », l'auteur de Diane « eût pu occuper une belle place dans les lettres et dans la politique ». Cette place que le destin lui offrait, il ne voulut pas la prendre : absorbé par un douloureux amour, il se démit de toute ambition, il s'abdiqua lui-même ; il n'accepta point de compromis avec le bonheur ; il vécut en dehors dé l'action pour vouer un culte sans espoir" à une femme. Chaque jour en son «honneur il écrivait uû bref poème ; comme. cpjje ; ,de Pétrarque; sa préférence allait au sonnet. Vers de désir, d'ar deur, de souffrance, où retentissent tous les battements d'un cœur : leur suite fait une longue plainte obsédante, depuis l'« apparition » du début : Si fine, en ce milieu politique et. banal, Rayonnante de grâce et d'attrait virginal, Elle allait noble et chaste ainsi qu'une Madone.:. jusqu'aux soupirs résignés de la fin : Si ma jeunesse a fui, ma passion demeure, Et je sens que jamais mon coeur n'a mieux aimé!... Toute autre idée en moi paraît être abolie, Et si je ne puis plus vous dire ma folie, [mort. Mon cœur du moins battra pour vous jusqu'à la Qui" fut Diane ? et pourquoi tant d'indiffé rence obstinée ? Il n'importe. Les vers demeu rent, dépourvus d'art, inégaux, mais pleins d'une aisance hautaine et traversés de cris presque tragiques. Un homme a donc vécu parmi nous, indiffé rent à l'ambition, à la gloire, au plaisir, stoïque ment muré dans la cellule d'un amoureux désir, esclave d'un rêve qu'il savait insensé î Son histoire portera témoignage pour notre époque. Cependant, les lointains amis aux quels, sans leur dévoiler son nom, il a fait sa confidence incomplète et la révélation post hume de sa sympathie, ne pourront même pas envoyer leur remerciement vers la dalle ignorée de sa tombe ! Maurice Levaillant....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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