Extrait du journal

Loin de moi la pensée de gémir une fois encore sur la vie chère; c'est un sujet vrai ment trop rebattu, bien que son objet ne cesse point d'ôtre d'une actualité chaque jour plus cruelle et plus angoissante, Tout le monde donc se plaint de la vie chère: mais il y a une plainte qui ne s'est pas encore fait entendre, c'est celle des en fants ; et pourtant, ils n'ont guère sujetd'être satisfaits : car il sera désormais impossible de leur, donner des jouets, à moins qu'on ne soit un nouveau riche. 1 Certes, il y avait avant la guerre des jouets qui étaient la luxueuse parure et l'ensèigne des magasins, et que seuls devaient posséder des enfants de' millionnaires ou de princes. Ces jouets-là ont suivi la hausse,,mais sans excès : il semblé que lés fabricants se soient dit que trop forcer sur le prix serait écarter à tout jamais les rares acheteurs de ces pièces coûteuses ; que mieux valait ne majorer ce prix que pour Je principe et par ainsi s'en tenir à une limite accceptable. encore que ré munératrice. Mais les jouets à la portée de la pécune sommaire des petits « Poulbot >, ces jouets que les mères n'hésitaient pas à acheter en allant au marché parce que leur prix minime n'obérait pas leur budget d'humbles gens et qu'ils faisaient aux petits tant de plaisir, ces jouets sont aujourd'hui d'un prix inabordable, sans révéler toutefois une fabrication plus sa vante, plus artistique, plus excellente. Le petit animal en bois blanc que l'on bap tisait chien, chat, mouton, loup, bœuf, mais dont la seule caractéristique était un corps mal dégrossi monté sur quatre pattes raides, ce petit animal qui surnageait si bien dans la baignoire pendant le bain et vers lequel l'en fant tendait ses mains curieuses, ce petit ani mal coûtait dix où quinze centimes au maxi mum pendant les mauvaises années — celles où le bétail était rare —, aujourd'hui on en demande un franc quarante-cinq centimes. Le cygne en celluloïd, qui avait la même fonction de distraire le pètit pendant son ablution quotidienne, ne dépassait pas soi- ; xante-cinq centimes : désormais, ce cygne ne s'obtient que contre une somme de six francs quatre-vingt-quinze centimes. Le toton classique, ce toton que Chardin: a immortalisé en un chef-d'œuvre, est passé de dix centimes à un franc vingt-cinq, et à un franc soixante-quinze si son corps est taillé en dé et marqué de chiffres. Et c'est la même hausse effarante qui se manifeste sur les sol dats, les pantins, les balles et les ballons, les poupées, les ménages, les quilles, les toupies, • les brouettes, les bergeries, enfin, tout. Or la question des jouets, si menacés au jourd'hui, n'est pas qu'une question de sen timent ; par la quantité do petits artisans que le jouet faisait vivre avant la guerre, ' et de gros marchands qui savaient organiser d'é normes fabrications en séries d'après les trou vailles d'inventeurs ignorés, le jouet est un facteur sérieux dans la vie économique: à un autre point de vue, celui que soulignait le. rapporteur de l'Exposition universelle de: 1867, « le jouet correspond à une des néces sités de la vie sociale ». Alors, parce que les marchands de jouets rie prétendent les pouvoir céder qu'à des prix inaccessibles, faudra-t-il que les enfants en soient privés ? Si lé Concours Lépinc ne s'était pas quel que peu écarté de ce qu'on attendait de lui à l'origine, on pourrait souhaiter de celui qui s'ouvrira prochainement qu'il apportât un re mède à la situation actuelle; mais je crains fort'au'il en soit autrement. Et pourtant, il...