Extrait du journal

PETITES CURIOSITÉS Il est grand temps de pousser un cri d'a larme, avant d'entendre des cris de douleur, car c'est l'admirable inutilité des Cassandre de n'annoncer que les catastrophes inéluctables. Nous sommes à la veille de l'Epiphanie et dans les boulangeries comme dans les familles les derniers préparatifs ont été faits ; les ga lettes sont commandées et les poupées sont fabriquées. Notre heure est bien venue de nous lamenter sur la mort des traditions et sur les périls des modes nouvelles. Autrefois, lorsque nous tirions les rois en famille, nous- ne pensions qu'à trouver la fève qui nous sacrerait, nous ne pensions qu'à lever nos verres au roi et à la reine. Il nous suffisait qu'une petite poupée de porcelaine, une amande, une noisette, une fève ait été cachée dans la brioche. Nous n'attachions à l'objet de surprise aucune importance; nous ne pensions qu'à sa vertu merveilleuse : nous étions des idéalistes. Aujourd'hui, l'atroce manie du « moder nisme », la folie de l'actualité a déformé la fête des Rois. Des industriels trop réalistes ont voulu exploiter la paresse de notre esprit. Ils ont imaginé de remplacer la petite poupée de porcelaine par des petites reproductions des « derniers grands succès de l'année ». Ainsi, nous,trouvâmes' dans les brioches, des coffres-forts, des bicyclettes, des automobiles, des aéroplanes. Cette année, vous devinez les « poupées » fournies par l'actualité ? Petits canons informes, comme recouverts, englués, par la boue de Tchorlou ; fusils, baïonnettes, etc. Et l'image de la guerre viendra s'imposer — encore ! — dans la plus innocente fête de famille, et nous risquerons d'être étranglés......