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Le Figaro, 5 janvier 1933

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Le Figaro
5 janvier 1933


Extrait du journal

De Noël à l'Epiphanie, les enfants régnent, plus encore, dans ces foyers où leur santé, leur grâce et leur joie sont les principales raisons de vivre. Distributions de jouets, vitrines pleines de tentations, bonbons, images, grands magasins organisant de véritables spec tacles pour attirer les petits et leur plaire, théâtres pour eux, du Petit Monde h la Boîte à joujoux, du Cirque au Guignol de Montsouris, arbres de Noël et goûters organisés pour les en fants pauvres, etc., etc., tout, en cette Quinzaine de cadeaux et d'espérances, est : inspiré par et pour les enfants. Est-fte pour cela que je me suis dirigée, presque involontairement, vers cette ex position des Tuileries, où les reliques et souvenirs du roi de Rome sont arran gés avec un soin pieux, et qu'un public immense-vient chaque jour vénérer et saluer ? Mais, me direz-vous, le roi de Rome n'a >pas été qu'un enfant ; il fut un jeune homme en exil, il incarna, par son destin frustré et fauché, ce grand rêve de la jeunesse que, si mal et si rarement, réalise l'homme. Et les émou vantes et belles scènes de L'Aiglon viennent eh ma mémoire ; et les cha pitres . de . documents nouveaux, écrits avec ferveur par Octave Aubry, et dont là vérité même est le roman poé tique et. déchirant d'un être qui n'a pas accompli le destin pour lequel il était né. Les cendres? les ramènera-t-on aux Invalides, près de celles de Napo léon ? Le « retour » nouveau de cette toujours jeune poussière, autorisé par une impératrice en exil, donnera-t-il au peuple un élan vers cette gloire, déchi rée comme les drapeaux, mais toujours présente et n'attendant, comme eux, qu'un souffle pour revivre ? (Je ne peux oublier, ici, les si intéressants livres récents de M. Albéric Cahuet sur « Sainte-Hélène petite île » et « Re tour ».) On peut le croire en voyant, en constatant l'intérêt passionné que la foule exprime à l'exposition du roi de Rome, ce petit roi sans royaume qui me paraît personnifier tout l'espoir inutile dont, du plus puissant au plus humble, on couronne chaque nou veau-né. Une file de visiteurs, maintenue avec ordre, s'allonge, sans fin, devant les vitrines où sont posées les petites cho ses de layette et du premier âge. Bavet tes,brassières, légères robes, hochets, menus riens sacrés où chaque mère, chaque vieille dame, voit le symbole de ses propres bonheurs, ou de ses propres regrets. C'est l'enfant, qui passionne ces femmes, penchées sur les portraits : « Quel beau bébé ! » s'extasient-elles... Et une très vieille aïeule, toute cas sée, étonnée sans doute de survivre, murmure : « Et dire qu'on l'a laissé mourir... », oubliant le siècle. Et elle se courbe,1 lorgnon au nez, sur cette effigie d'un visage rebondi, rose, blond, joufflu, représentant la force lumineuse pleine de sève. Le jeune homme bouclé, l'adolescent mélancolique qui rêvait à la gloire en ce salon, « reconstitué » par des soins éclairés et patients,'fait rêver sans doute les jeûnes-filles... Mais ce petit canon, ce globe terrestre, ces livres d'étude, ce beau bateau, cette voiture dorée que des chèvres traînèrent en ces tnêmes jardins, conduites par un bébé impérial, voilà ce qui fascine tous ces enfants amenés là, en pèlerinage, et qui répètent respectueusement et avec cu riosité ces mots, pour eux magiques : c Le roi de Rome ! » Ét, pourtant, quelle tristesse ! quelles leçons du néant, non seulement des grandeurs, mais des prévisions humai nes, se dégagent de tous ces portraits, de tous ces objets, et même de ces ber ceaux, dont l'un, de bois clair orné de bronzes lourds est surmonté d'une Vic toire qui ne soutient plus les rideaux légers du présent et semble planer déjà sur Un cercueil vide. Tandis qu'une humble crèche est si belle, si chaude de vie, que.ces splendeurs sont mortes! Le roi de Rome! Enfant naissant, on lui donna ce titre et cette ville illustre, la Rome de saint Pierre, et celle de César. Quelle splendeur, pour un petit prince, que-ce nom de Rome, en hochet. Et cette Rome, il ne la posséda ja mais et ne la connut point. Une illusion, l'imagination d'un grand espoir, voilà ce qui doit couronner l'entrée d'un bel enfant au seuil du monde. Il faut se hâter de hii offrir tout ce qu'il n'aura pas, tout ce qui ne se réalisera pas. Et chacun, en sa sphère particulière, et même la plus modeste, peuse ainsi, consciemment ou inconsciemment. Car, oserait-on donner à ces nouveaux venus qui semblent arriver d'un séjour bienheureux de paix, d'ignorance, d'in nocence et de joie, la vie, tout simple ment ? Non ! non ! elle n'est pas assez belle, elle est trop dangereuse... Parons ces petits fronts de couronnes imagi...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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