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Le Figaro, 6 décembre 1881

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Le Figaro
6 décembre 1881


Extrait du journal

et lui arrange un nid au creux dè ses jupes, en mettant de gros baisers dans ?a fourrure avec l'expansion des femmes du peuple pour les animaux. Leurs con ditions ne sont-elles pas égales?.. Mais, tandis que sur ses genoux sa chérie se rendort, sa pensée, rajeunie,vagabonde. Sous, ses rides, sa figure s'éclaire. Un désir d'enfant point dans son cœur de vieille. Elle dit tout haut : « Pourquoi pas-?..; .. Pauvre folle ! Comment feras-tu pour entrer là-bas ? A la fois, toutes les diffi cultés se dressent. Entre son passage borgne et cette brillante assemblée, sur: laquelle, tout à l'heure, la France entière tiendra les yeux fixés, elle devine dans un brouillard d'infranchissables barriè res, comme une crevasse du sol, des mu railles de granit, des dragons de feu à la porte du sanctuaire, des obstacles oùdes créatures comme elle vont fatalement se briser. Tant pis, elle veut le revoir, elle le re verra, ne serait-ce qu'une minute. Elle se lève, car elle n'y tient plus, il faut qu'elle marche. Et Princeôse, qui roule à terre sans rien comprendre à cette su bite indifférence, va se réfugier sous le lit en poussant un « miâou» plaintif . Ma chinalement elle ouvre son armoire pour aveindre son châle et son fichu de laine. Mais elle s'arrête, interdite, en voyant la porte s'ouvrir et son homme pa raître:- - v - —Tiftnfi^diîià? — G est donc pas 1 neurtf* Midi sonne. Il lui monte une honte, comme s'il l'eût surprise à faire quelque chose de mal,et, pour cacher sa rougeur, elle court à la cuisine, très affairée. — N'y a-rien de prêt encore dans cette boutique? crie Firmin, en commençant sa vie des mauvais jours. , Elle balbutie, de plus en plus troublée, engouffrant dans le fourneau des pelletées de charbon, soufflant sur le feu qui ne veut pas prendre,: de toute la vigueur de ses poumons. Le temps de dire amen, voilà son ragoût troussé avec un reste de lapin et des pommes de terre do la veille. Vite, tandis que la casserole chante et que l'homme tapote à la viIre en mâchonnant un bout de cigare, elle sort les grosses assiettes à vignettes im primées, un veri-e et un couvert d'étain. Elle dispose le tout sur un coin de table, dont elle essuie lestement la toile cirée du revers de son tablier. En un tour de main, tout reluit, tout fume. L'homme se calme. . Maintenant, installé devant unlitredé bouché et une pleine.assiettéede miroton, il mange, le poingparesseux, le couteauen l'air, aveçcette lassitude de l'ouvrier, celte attitude de bête de somme, pour qui le re pas est le.seul,répit de la journée-. Mais, tandis qu'il broie les1 chiffons de pain avec une lenteur de ruminant, l'aiguille marche. Agitée, fiévreuse, • Mme Firmin semble avoir des tisons sous les pieds. tElle voudrait lui verser son litre dans le gosier,-d'un seul coup, et le pousser de hors. Dans ce regain de jeunesse, ainsi que ces fruits d'arrière-saison qui, sous un rayon de soleil, retrouvent leur pri mitive saveur, elle sent lui revenir les angoisses" d'autrefois, quand Loulou l'at tendait au coin de la rue et qu'elle se sa vait clouée pour lasoirée à raccommoder les collerettes de sa tante. — Qu'est-ce que tu fais là, toi, tu ne manges donc pas ? Cette voix enrouée la fait tressaillir. — Je n'ai pas faim, dit-elle. Il y a bien dix minutes qu'elle tourne sa langue, cherchant des détours, un point de départ naturel pour aboutir à une question. Mais elle ne trouve rien, et, chaque fois,- au moment d'ouvrir lai bouche, ses tempes lui battent si fort ■qu'elle n'y voit plus clair. Ecoutez donc, depuis tant d'années, elle a eu le temps dé se déshabituer des sournoiseries. Elle est maladroite à mentir et naïve dans ses ruses. Elle repasse par une virginité d'impressions oubliées, qui la surprend innocente et gauche. A la fin, comme il se lève et rallume son cigare, elle ramasse résolument son courage, et, à brûle-pourpoint, d'une voix posée, en enlevant les assiettes : — Au fait, Firmin, où ce que ça se trouve, l'Académie? — L'Académie ? G'té idée... qu'ça te fiche? — Oh ! rien, pour savoir. — Parbleu I c'est au diable, là-bas, près de la Seine, vis-à-vis la baraque à Badinguet, eun' machine avec un dôme... — Ah I c'est là?.. Elle avait toujours cru que c'était le temple protestant. A peine a-t-il fermé la porte qu'elle a couru coller son oreille à la serrure pour s'assurer qu'il ne remontera pas. Alors, aussitôt le bruit de ses pas perdu dans l'escalier, elle n'a fait qu'un saut jusqu'à la patère où pendent ses affaires, accro chées là, dans l'émotion de la surprise. Tout heureuse et le cœur bondissant d'impatience, elle arrange à la hâte au tour de sa tête les plis de son fichu, donne* une légère tape à ses bandeaux, de façon à encadrer gracieusement son visage, dernière coquetterie de femme ne pouvant abdiquer devant l'amour qui renaît. D'un coup, avec toutes ses lois, le sexe a ressuscité. Mais, au moment d'al ler au morceau de vitre qui lui sert de glace, elle se détourne, prise d'une peur, l'instinct lui criant gare! Le miroir,c'est l'ennemi ! Elle veut se faire jusqu'au bout l'illusion de son printemps, et la voilà qui tremble d'être souffletée par l'ironiff tranquille de ce débris. Lui reaverrait-il le minois rose d'une grisette*! Malheur à elle !.. A cette pensée, elle se sauve, croyant s'entendre huer de ce témoin muet dont le cri de pitié la poursuit : «Vieille folle! » En bas, dès qu'elle a mis le pied dans la rue, sous l'éclat franc du plein jour, son aventure lui apparaît plus ridicule encore et flagrante pour tous. Elle porte sur ellè quelque chose d'invisible, mais d'énorme, qu'elle ne peut dissimuler et qui fait retourner les passants. Elle se sent horriblement gênée, comme d'une étrange grossesse. Ses sens en éveil, rendus plus subtils par la peur, font le guet. Elle dresse l'oreille, -se retourne tout à coup pour surprendre celui qui l'espionne, et-, ne voyant rien, reprend sa ju&xche, tète baissée, 'Du- seuil des...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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