Extrait du journal
royal que, depuis tantôt onze années, elle élève et prépare, avec une abnégation admirable, en-vue de dangers plus lourds -encore que ceux des fièvres cubaines et de-.la guerre: à certaines profondeurs, toutes les vraies mères se ressemblent et s'unissent, par les inquiètes tendresses... ; lin quart d'heure, vingt, minutes d'at tente. Dans l'embrasure d'une fenêtre — une embrasure épaisse de plusieurs,pieds donnant l'impression que ce vieux palais est immuable comme une forteresse,— je regarde s'assombrir.cette campagne de -Madrid,'âpre, déserte, d'un charme très surprenant à côté des magnificences du lieu où je suis ; et, quand je me retourne, je vois de plus en plus s'éteindre l'éclat des ors, dans ces salles où reviennent sans doute de majestueux fantômes sitôt que la nuit est noire... La porte des appartements particuliers de la Reine s'ouvre enfin, là-bas, au •bout, d'une autre immense salle tendue de brocart bleu, et on vient m'appeler. ' Un salon.relativement petit et. intime, •où il y a des fleurs, de la vie, et où la lu mière des lampes me délivre tout à coup de l'oppression du crépuscule. Sa Ma jesté est; là, mais non plus en une toi lette simple comme à Saint-Sébastien, et je suis frappé, dès l'abord, de son air d'infinie tristesse, rendu plus saisissant peut-être par la robe de demi-apparat pailletée d'argent et par les fleurs du corsage. C'est une banalité courante de dire que le sourire éclaire le visage ; mais le mot éclairer est particulièrement j uste quand il s'agit du sourire de la Reine : un sou rire de douce condescendance, d'esprit et de bonté, qui est comme un soudain rayonnement, d'un charme très rare. Et c'est avecce sourire que Sa Majesté daigne me recevoir aujourd'hui, me re mercier d'être venu. Mais voici que ce trop précieux remerciement me trouble et me gêne, comme d'ailleurs l'accueil que Ton veut bien me faire à Madrid, car j'ai conscience de ne point mériter tout cela, puisque je n'ai aucun moyen, hé las! de seulement.prouver ma dévotion pour une cause qui m'est cependant si chère ; étranger ici, retenu par les lois deneutralité, je n'ai même pas le droit d'offrir ma vie, comme le plus obscur des soldats espagnols. Et tout , à coup, je me sens confus d'être venu, confus d'avoir demandé cette audience en un pareil moment, confus de tout ce que-j'ai fait, dans un élan sans doute par.trop irréfléchi, puisqu'il était ' sans résultat possible. En tn'excusant, je ne puis que. répéter à la Reine ce que tous mes amis de France m'ont dit au moment de mon départ — et ce qui, je crois, ne serait désavoué par aucun Français,—leur entière sympathie pour l'Espagne, leur révolte de la voir ainsi attaquée et abandonnée. — Je le savais,1 me répond Sa Ma jesté,et j'en suis profondément touchée et heureuse ! Malgré cé voile de tnstessequi est- sur le visage de la Rei ne, et comme jeté aussi, sur sa voix, j'admire sa sérénité, sa con fiance en l'héroïsme de son peuple et en le bon droit qui est du côté de l'Espagne. . Parfois un éolair d'indignation paraît dans ses yeux. «On nous a tant calom niés!» dit-elle, faisant allusion à diffé rentes choses, qui soi-disant se seraient passées à Cuba, et surtout à l'explosion du Maine, au sujet de laquelle certains individus ont porté sur les, Espagnols d'enfantines et niaises accusations. — Je me réserve, d'ailleurs, d'écrire à propos de cet incident tout ce que je sais, bien que les accùsations de ce genre ne vaillent guère qu'on les relève. Àu moment de me congédier, Sa Ma jesté se ravise, et daigne me garder en core, pour me procurer l'honneur, de voir le Roi. Avec la simplicité exquise dont le secret lui appartient : — Attendez un peu, dit-elle, vous verrez mes enfants qui vont venir. . Bientôt, en effet, la porte s'ouvre, et le jeune Roi, dans un costume de marin à col bleu, entre en souriant, suivi des deuxjinfantes, ses sœurs aînées — déjà presque de grandes jeunes filles, en robe blanche..Et il m'apparaît grandi, très fortifié, embelli, les joues roses, les yeux vifs ; dans toute sa petite personne, une grâce élégante et fière... . . — Vous pouvez répéter à vos amis, me dit Sa Majesté la reiné en me congé diant, combien je suis touchée et re connaissante des sympathies qui nous viennent delà France. Vôùs savez d'ail leurs que c'est à votre pays que j'ai dé siré confier la protection de nos natio naux, après le retrait de notre ambassa deur et de nos consuls ; cela prouve que je les. espérais, ces sympathies françaises, ét que d'avance il me semblait pouvoir y compter... Dans une autre partie du palais, après de longues galeries de pierre où des hallebardiers se promènent dans la pénombre* un salon , tendu de vieilles tapisse ries précieuses et embaumé par des bou quets de jonquilles. C'est là qu'il m'est donné, cette même soirée, d'aller présen ter mes très respectueux hommages à S. A. I. Mme l'archiduchesse Elisabeth d'Autriche, mère de S. M. la Reine ré gente. , . ' Si charmante et encore si noblement belle, dans sa robe noire, avec ses che veux tout blancs, Son Altesse, elle aussi, entend le français comme une Pari sienne et parle, en amie très éclairée, de notre pays, de notre littérature, de notre art. Dans la première question qu'elle m'adresse, c'est la mère qui se révèle avant tout, tendre et anxieuse : — •Vous n'avez pas trouvé la Reine bien pâlie, bien changée ?... \ -. .Quand .je sprs du palais sombre, la nuit est tombée tout a fait. Les rues sont...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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