Extrait du journal

LE CHflTOïl BRISÉ Sous peu sera fêtée la reconstruction de la cathédrale de Reims. , ■. , Tout au début de la* guerre, alors que les marmites infernales avaient à peine ébranlé l'église, j'ai rencontré dans un abri-proche un soldat "comme tous les autres certes, mais qui se livrait avec ferveur à un travail singulier. Il fut. à coup sûr l'un. des premiers qui eurent l'idée de fabriquer une bague d'aluminium et il tenait à cette idée jalousement comme à une affection très chère. — Surtout, n'en parle pas, me disait-il,, tous les autres en feraient autant... Il travailla des nuits et des nuits, n'ayant pour outils qu'un couteau, deux clous et du papier de verre. Et tel un poète qui lutte avec la rime difficile, à cause de cette- difficulté même il parvint à faire mieux qu'il n'eût' jamais espéré.- 1 — C'est fini. Je l'ai cachée dans une cave pour qu'on ne me la chipe pas. Je te la mon trerai cette nuit. La cave était aussi affreuse que la nuit et vraiment, dans cette ombre troublantç, à la lueur d'une bougie, la bague semblait receler une étrange beauté. ' Elle était faite pour un tout petit doigt qui ne comprendra ; probablement jamais tous' les symboles qu'elle contenait et, somme toutes tant mieux pour ce petit doigt. Le chaton ' se rehaussait d'une serre d'aigle, crispée,; ciselée en plein muscle et •serrant une émeraude avec , tant de force dans son étau minuscule-que la pierre avait éclaté. L'émeraude, on îe-devine, n'était autre que deux morceaux d'un vitrail brisé de la cathédrale. Et parmi les blêmes reflets de l'aluminium, leur feu profond brûlait doucement comme une veilleuse lointaine, près de mourir dans les ténèbres. Ne restait plus qu'à expédier l'objet précieux dont le métal léger, provenant d'une fusée d'obus, représentait la Guerre, et l'émeraude, l'Espérance. . — Et maintenant, tu vas faire la lettre, parce que je ne sais pas écrire. Tu commenceras par... mais ça non plus, tu ne le diras pasNon, je ne le dirai pas, même pour la cathé drale reconstruite. Et puis, en quatre ans, j'ai tant écrit de lettres qui commençaient par... Car combien sont-elles, Seigneur, aujour d'hui, celles qui portent au petit doigt le sou venir de tant de misère et de tant de siècles £ Robert Mirepoix. :...