Extrait du journal

C'est Edmond About qui appelait l'Algérië « l'autre France », mais il l'entendait dans le bon sens du mot, comme un prolongement et une sorte de grande succursale de la patrie, et non pas comme une réduction, une minia ture de. la vraie France avec ses divisions, ses querelles, ses haines, tout l'attirail de notre cuisine politique. Il paraît bien, cependant, que c'est par ce mauvais côté que nos frères de là-bas nous ressemblent, et qu'ils ont pris tous nos défauts pour bien prouver qu'ils étaient de la famille ! Les affaires algériennes reviennent à date fixe devant les Chambres et, aujourd'hui en core, un grand débat va s'ouvrir au PalaisBourbon. Pauvre Algérie ! ce n'est pas ainsi qu'on se la représente, en proie à toutes ces passions intestines, lorsque, après une jolie traversée, par un ciel clair, on voit apparaître, comme une délicieuse vision orientale, les blanches maisons d'Alger paresseusement couchées au pied de la Kasbah. On a quitté Marseille les oreilles encore assourdies de tou tes les questions à l'ordre du jour, la tête pleine de la lecture des journaux. On éprouve le besoin de se reposer : on s'en va là-bas en touriste ou en convalescent. Il semble qu'on va changer d'air, de ciel, de tout... Ah ! bien oui. Le seul repos, quand la mer n'est pas trop mauvaise, c'est la traversée. Ori fait à table un bout de causette avec le brave capitaine Lota, grand amiral de la flotte transatlantique ; on voit se lever et se coucher le soleil ; on aperçoit, autour du navire, des vols de goélands, et quelquefois, à fleur d'eau, les crôupes des dauphins ; on entend, par les calmes soirées, la chanson des marins, sur l'arriére. On est tranquille, on est bercé... C'est ravissant ! Mais sitôt qu'on débarque, ah! mes amis! Le portefaix qui s'empare de votre malle, le bate lier qui vous prend dans sa barque commen cent tout de suite à vous parler politique.Vous n'avez pas encore touché terre que vous êtes au courant de toutes les affaires locales et, à peine sur le quai, les crieurs publics vous ont déjà fourré deux ou trois journaux dans la po che ! J'ai éprouvé quelque chose de sembla ble, un jour à Trouville, où, après une ravis sante-matinée sur les planches, en revenant du bord de mer pour déjeuner, j'aperçus à un coin de rue, sur la muraille/ un restant d'affi che que le soleil avait décolorée, et où se lisaient encore, en grosses lettres, ces choses bizarres ; Manœuvres de la dernière heure... Réponse à des calomniatetcrs... Une véritable* infa mie... C'était un dernier souvenir des élections municipales, un dernier écho d'une lutte encore récente et, par cette belle journée, dans ce cadre charmant, on restait confondu de retrou ver ces expressions ridicules, ces propos cent fois entendus et lus à Paris, et qui rappelaient la légende où les paroles gelées par l'hiver se dégèlent aux premiers beaux jours et viennent frapper les oreilles étonnées ! Il semble qu'en des pays pareils on doive se contenter de vivre et qu'il y ait place pour tous au bon soleil. Il n'en est rien ; on se bat avec plus d'entrain, on se tue même avec plut d'ardeur que partout ailleurs. Les questions locales dominent de beaucoup la question gé nérale. John Lemoinne disait, au moment des affaires d'Egypte :...