Extrait du journal
A culture a pu prospérer sans contacts avec les-, masses. Les masses ont pu vivre satisfaites sans , contacts avec la haute culture de l'esprit. Cettedouble assertion fut longtemps vraie. L'est-elle encore ? La culture est une création des élites ; elle ne se maintient que par la vigilance du petit nombre, et le plus souvent contre le goût de la majorité. Ceux qui 1 enrichissent de leurs inventions, fussent-ils des dis sidents ou des révoltés, tiennent toujours par quel ques bouts à cette aristocratie ; et leurs œuvres, ne sont assimilées, mises en valeur, que par un milieu capable de les aborder avec ce qu'il faut de temps* et d'étude. Apôtres ou simples fidèles de la culture ont en commun certaines habitudes, un certain langage, un certain entraînement, qui font d'eux une sociétéplus ou moins fermée. En face de cette minorité qui tend à se considérer, non seulement comme la fleur d'une civilisation, mais comme sa raison d'être, les masses vivent sans accès aux luxes de l'esprit. Mais, devenues prépondérantes dans les régimes modernes, toléreront-elles indéfini ment cette zone privilégiée, dont elles ne bénéficient pas et qui est tout de même assez onéreuse pour la collectivité ? Enseignement supérieur, théâtre, scien ces, activités désintéressées pèsent sur le budget pu blic et accaparent beaucoup d'énergies. Un fait, les gouvernements populaires n'ont, jamais lésiné sur ces sortes de dépenses, parce qu'ils avaient à leur tête des hommes formés par les disciplines de la culture et parce que le respect de « l'instruction » fait partie de la mystique ouvrière. ■ Mais les sacrifices consentis comportaient un certain illogisme. Ils ne correspon daient pas à des besoins réellement ressentis par les masses. Admettez qu'à la longue, par tassement, par jeu naturel des forces, ce soit effectivement l'obscur désir du plus grand nombre qui prévale, pourquoi s'embarrasserait-il d'intérêts qui ne sont pas les siens, et pourquoi ce qui nous paraît plus précieux que tout au monde ne serait-il pas balayé comme des inutilités périmées ou comme des raffinements dont on ne s'oc cupera que lorsque tout le reste sera mis en bon ordre ? On conçoit mal un amour sincère des choses de l'esprit, qui ne cherche pas à se communiquer, qui se confine dans la jouissance avare de ce qu'il pos sède. L'égoïsme du collectionneur, qui cache dans ses armoires
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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