Extrait du journal

Une très grande dame, dans un des salons les plus parisiens de Paris, expose le projet deux fois charitable qu'elle a formé, avec quelques autres mondai nes, de réformer le chapeau de théâtre, honni par les spectateurs masculins. — Voici, dit-elle, ce que nûus imagi nâmes. On demandera à toutes les mo distes de la ville, grandes ou petites, in connues 'Où" célèbres, d'inventer et d'ex poser des modèles à la fois pratiques et jolis..."L'exposition sera payante; les modèles seront à vendre ; tout le béné fice profitera à quelque œuvre de bien faisance... Ainsi les pauvres auront de l'argent, les modistes de la réclame, et vous autres, spectateurs insupportables, .peut-être ne grognerez-vous plus. Un frac se permet d'intervenir : —> Madame, votre idée est spirituelle et.généreuse. Mais que poursuivez-vous d'abord ? l'avantage des pauvres ou Ja commodité des spectateurs ? . —■ Les pauvres avant tout, bien en tendu ! — C'est fort juste. Je n'aurai garde,moi non plus, de les oublier dans mon contre-projet... Car je ne vous cache pas que je médite un contre-projet. Et mon contre-projet sera meilleur que votre projet, avouez-le, si les pauvres y trou vent plus d'avantages et les spectateurs plus d'espace visible ? — Dites toujours, fait la jeune femme avec une moue d'ironie. — En bien, je supprime d'abord abso lument, radicalement, le droit pour les femmes de porter au spectacle un cha peau quelconque. — Quelle sottise ! — Cette sottise est la loi du ThéâtreFrançais, et personne ne s'en plaint... Je voudrais la loi plus stricte encore! Je "voudrais qu'elle interdît les chapeaux féminins non seulement aux fauteuils d'orchestre ou de balcon, mais encore dans les loges. Car il suffit, sur le bord d'une loge, de deux Parisiennes bien coiffées pour masquer toute la salle — sauf le lustre et les frises — aux autres habitants de cette loge... Ne dites pas que l'aspect de l'assemblée perdrait en élégance ; ce serait le contraire, vous le, savez bien. Le chapeau féminin est une anomalie aux lumières, dans une salle close, à la fin de la journée, quand cour ses et visites sont finies. — Et les pauvres ? — Les pauvres! Que les mondaines aumônières les fassent profiter de l'éco nomie qu'elles réaliseront en n'achetant plus de chapeaux pour le théâtre. Sur chaque somme de dix louis épargnées ainsi, qu'elles jettent un seul louis dans une tirelire. Au bout de la saison, les Eauvres de Paris auront gagné de quoi ien manger et se bien chauffer pendant tout le long du prochain hiver. — Monsieur, réplique la très élégante grande dame, voulez-vous que je vous dise mon opinion bien franche ? Vous n'entendez rien du tout ni à l'élégance ni à la charité de Paris. Vainement le frac essaye de protester, de discuter, de défendre sa compétence de philanthrope et de mondain. Toute l'assistance prend tumultueusement le parti de sa brillante adversaire. Et pour se ménager une retraite honorable il est contraint de rallier quelques vieux gent lemen chauves, qui discutaient politique à l'écart, et qu'il va prendre à témoin. Derrière lui, on murmure : — Ce garçon est vraiment sot. Pour quoi le reçoit-on ? *** Dans mon coin, je médite sur la mésa venture de ce moraliste intempestif, et je songe — Voilà un bavard traité comme il le mérite. Il ne comprend rien à Paris ; on ne le lui a pas envoyé dire. Pour avoir lu cela dans les échos et les chroniques des journaux, ce garçon se figure qu'il y a, réellement, mie 'question des cha"uoaiix de théâtre ! Et il cherche, de toute...