Extrait du journal
Le grand malheur des démocraties, c'est qu'elles cherchent la force dans les hommes, plutôt que dans les chosés. Il leur faudrait toujours pour ministre des hommes admirablement adaptés à leur fonction, et animés d'un patriotisme constamment en éveil. Or la nature en paraît avare ! La France retrouvera difficilement un ministre de la guerre comme celui que nous venons de perdre. M. Maginot avait le grand mérite d'aimer l'armée et de la bien connaître. Il y a beaucoup d'hommes politiques qui s'intéressent à l'armée : les uns pour la transformer, d'autres même pour la démilitariser. Mais combien d'entre eux la connaissent autrement que sur le papier, voient derrière les uniformes des soldats, c'est-à-dire des êtres humains pratiquant une mystique particulière, voués au sacrifice de leur indé pendance, de leur liberté, pliés à l'obéissance sans jugement, sans exam^, toujours prêts à servir avec un absolu désintéressement ét méritant ainsi une sorte d'amour ? Le gouvernement a décidé de faire à M. Magi not des obsèques nationales, non pas, a dit M. La val, en annonçant la nouvelle à la presse, parce qu'il est mort ministre en exercice, mais en qualité d'an cien combattant qui n'avait pas cessé de servir le pays. Voilà en effet la dominante dans la figure du ministre qui vient de disparaître. Il était resté à la tête de l'armée un combattant. Il n'avait pas oublié ce qui est dû au sacrifice des morts. Il n'avait pas oublié le prix de la victoire et n'ignorait point l'ef fort à accomplir pour en conserver le privilège. Et si la fraternité d'armes n'était pas un vain mot pour lui, il savait aussi de quel ressentiment l'ennemi d'hier demeurait pénétré ! C'est pourquoi, nous qui sommes persuadés que rapprocher les hommes n'est pas le plus sûr moyen de les réunir, nous le voyions avec confiance, chargé de défendre la sécurité de la France dans cette absurde conférence du désarme ment où les peuples de l'Europe vont se rencontrer dans les circonstances désastreuses que M. Souchon a si bien analysées ici ! Les hommes utiles sont toujours les produits d'un milieu. Quel ministre de la guerre peut-il sor tir d'uji milieu politique où règne la doctrine du moindre effort,' chère à nos démocrates ? Le Lor rain Maginot avait par sa formation échappé à une utopie mortelle, répandue aujourd'hui jusque dans les sphères militaires, celle qui consiste à placer la machinerie de la guerre, le matériel de la guerre, plus haut que les vertus militaires, comme si le courage, l'esprit de sacrifice, la discipline et la persévérance ne demeuraient pas en tout état de cause les bases de l'indépendance des peuples. C'est le grand écrivain militaire allemand Scharnhorst qui affirmait que, « dès que ces vertus ne font plus battre notre cœur, nous sommes déjà per dus, même au cours des grandes victoires ». Aussi, faut-il avoir autant de reconnaissance à M. Ma ginot de l'intelligence avec laquelle il a lutté contre cette « démilitarisation des âmes », que certains nous représentent comme le dernier mot de la civi lisation, que de la ténacité avec laquelle il a pour suivi la mise en état des défenses de notre frontière de l'Est. Fortifier les cœurs ne lui paraissait pas moins important que d'armer les glacis rhénans f C'est Un soin qu'il n'a pas cessé de prendre. Qui conti nuera sans déclamation cette quotidienne entre prise ? Qui veillera avec amitié, comme il veillait, sur le moral de l'armée ? Qui, au milieu du froid glaieial d'une société égoïste, en saura préserver ce petit monde à part où l'homme moderne trouve encore des motifs désintéressés de bien faire et des raisons de servir ? Il y a dans la tristesse qui s'est emparée de Paris, hier, dès qu'on a connu la mort du ministre de la guerre, non seulement les regrets que cause la perte de cet homme aimé de tous, mais l'appréhension devant l'avenir, devant l'inconnu......
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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