Extrait du journal
PAR ANDRÉ ROUSSEAUX L'k province vous retient, ma chère amie. Vous y avez vu brûler, dans une grande cheminée, lés flambées d'automne et la bûché de Noël. Vous y avez pris vos quartiers d'hiver, puisque les quartiers d'hiver sont pour tout le monde, en cette guerre-ci. La province vous retient — de toute la force de sa nécessité. Car pour le charme de la vie qu'on, y mène, vous me paraisses} avoir encore besoin d'une - initiation. Il le fallait bien, murmurez-vous. Vous avez mis Bruno chez les Jésuites et Nicole au Sacré-Cœiîr. Alors, vous n'avez rien de mieux à faire que de rester auprès d'eux, même si l'attrait de Paris... Pardon ! Je n'aurais pas dû écrire ce nom qui vous torture. Notre pauvre Paris, où les piétons qui traversent les rues, leur lam pe électrique à la main, ont l'air de vers luisants qui se promènent sous le regard de monstres à lunettes bleues ; notre Paris d'ombres chinoises et de dominos noirs, demeure la Ville lumière pour les exilés de La Châtre et de Romorantin. Vous ne vous doutiez pas que votre appartement de l'avenue Mozart, auquel vouaf trouviez mille défauts, vous semblerait un jour un paradis perdu. Vous mourez de froid, me dites-vous, dans cette grande maison où vous êtes logée. C'est vrai. La province a, pour les saisons, un esprit de soumission dont Paris s'est affranchi. Mais le docteur Carrel vous' dirait qu'il est salutaire à notre corps d'exercer sa résis tance aux températures naturelles de janvier. Pensez-y, quand vous êtes d'humeur à mésestimer le confort strict et honnête dont la province a gardé les rites : le broc d'eau chaude posé le matin à votre porte, avec une grosse serviette pliée dessus ; et le soir, le fçu qu'on vient d'allumer dans votre chambre, à l'heure où vous allez y rentrer, pour que sa flamme vous fasse illusion quoique un nuage de buée ne quitte pas vos lèvres. Ne vous plaignez pas : vous voyez clair. La province vous fait grâce de ges lumignons de jadis et des bougeoirs qu'on distribuait à chacun à l'heure du coucher. Chère province ! Je voudrais vous la faire aimer un peu, ma chère; amie, et que cette année que vous y aurez passée ne vous alânguisse pas seulement de mé lancolie. Je voudrais vous ouvrir les sources d'où ont jailli tant d'esprits que vous goûtez. Sur la province, ne croyez pas trop Mauriac : s'il la déteste, c'est qu'il aime trop la campagne, où vous vous perdriez tout à fait. Mais efforcez-vous d'entrer dans les enchantements de Bellac, à la suite de Giraudoux. Et sachez, avec- Jacques Chardonne, que le bonheur de Barbezieux est fait de mérites certains. Les mérites de la province sont subtils et pondé rés, solides et indéfinissables. C'est leur poids qui, sans que vous vous en doutiez, ralentit votre marche quand vous gravissez votre large escalier de pierre. Un escalier à rampe de fer forgé ne se monte point du même pas qu'on a poUr s'engouffrer dans un ascenseur, qui vous lance en vrombissant vers une alvéole en ciment. Bon gré mal gré, il vous donne de la majesté, peut-être de la sagesse, de la patience, de la prudence, de l'écono mie : presque toutes les vertus que les discours de nos ministres recommandent en ce moment aux combattants civils de la guerre totale. Je crois que la province, si elle a gardé les traditions que je lui ai connues, a beaucoup à nous apprendre pour mettre de l'ordre dans nos mai sons. Et son enseignement sera valable encore quand la guerre sera finie, si nous voulons une paix rédemp trice. Vous vivez une vie plus grave, ma chère amie, une vie plus sérieuse. Ne croyez pas que ce soit une vie triste. Cet accord à la vérité des choses, où une telle existence trouve sa règle, vous réserve d'heureuses surprises. Je vous promets une vraie joie — ce sera vers la mi-février — le premier soir ou le soleil couchant prolongera dans votre chambre uné lumière que vous n'attendiez pas encore. Quant au printemps, vous verrez comme il sait éclater tout d un coup dans un jardin de province, em braser un arbre de Judée, neiger sur un verger en fleurs, et bercer des consolations de la nature une vie sur qui pèsent les malheurs des hommes. André Rousseaux....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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