Extrait du journal

L'élection de Lorient a déchaîné une grande controverse. Un siège perdu a suffi pour mettre en mouvement, autour du parti radical, les stratèges et les hé ritiers présomptifs, les conseillers et les consolateurs, les médecins bénévoles et les réformateurs hardis. Il est vrai que ce siège perdu était le sixième depuis quelques mois. Le pârti radical ne se plaindra pas de l'indifférence "publique, il jugera même- qu'on. parle trop de lui. Réduit à ses éléments les plus simples, tout le pro blème consiste à connaître où le parti radical pren dra ses alliés. Trop faible pour avoir à lui seul une majorité et pour détenir le pouvoir, il a le choix entre deux systèmes. Il peut entrer dans une forma tion nouvelle d'union nationale avec les modérés. Il peut s'associer avec les socialistes pour former un grand parti avancé. Aucun des deux systèmes n est nouveau. Avec une aisance qui prouve son éclec tisme, le parti radical a déjà pratiqué l'un et l'au tre. Allié des modérés en 1919, il a été 1 allié des socialistes en 1924. Mais il est devenu de nouveau l'allié des modérés en 1926, pour finir en 1928 par revenir à l'alliance avec les socialistes. Il a fait tour à tour toutes les expériences. Il les a même fai tes plusieurs fois. On pourrait croire que ce sont de bonnes conditions pour choisir. Mais ce sont aussi des raisons d'hésiter. Si le parti radical se décidait selon ses préféren ces, il irait tout de suite vers les socialistes. Il les aime, et il a l'habitude de leurs bons procédés comme de leurs mauvais traitements. La difficulté vient de ce que les socialistes ont un peu abusé de la complaisance de leurs aînés. Ils se sont conduits en frères cadets à qui 1 on passe tout. Les radi caux leur ont pardonné volontiers le marxisme. Ils ont excusé l'idée de supprimer la propriété. Ils ont fermé les yeux sur les projets de révolution. Ils ont été tolérants, attendris, faibles. Mais ils ont ce pendant été indignés le jour où le parti socialiste, devenu grand, a voulu leur prendre leurs sièges de députés et gouverner la maison commune. Quelques sages se sont demandé si le moment n'était pas venu d'envoyer les socialistes turbulents en vacances et de gouverner tranquillement avec les modérés jusqu'à des temps meilleurs. Ils ont évoqué la douceur de l'époque où, sous la direction de M. Poincaré, les radicaux voisinaient au conseil des ministres et dans la majorité avec les représen tants de la politique nationale. Ils feraient volontiers une nouvelle saison ministérielle. C'est une école. Ce n'est pas la plus nombreuse ni la plus passionnée. La majorité des radicaux ne se résigne pas à la brouille avec le parti socialiste. Elle cherche avec eux un accommodement et elle le trouvera peutêtre. Elle sent la force des affinités électorales. De leur côté, les socialistes ne sont pas pressés de dis loquer le parti radical. Ils profitent avec désinvol ture de leurs alliés. Ils les exploitent ; ils les condui sent ; ils les apaisent à peu de frais. Encore une année ou deux de cette orageuse amitié et les socia listes se sentiront assez forts pour abandonner les radicaux à leur destin ou pour les enrégimenter dans les cadres de leur parti. Tout s'arrangera donc en ne s'arrangeant pas, et on parlera longtemps encore de cette querelle qui est l'étoffe de la vie parlemen taire. — André Chaumeijc...