Extrait du journal
Tout Paris est enrhumé. Les salles de théâtre reten tissent de toux et d'éternuements sonores, qui ponctuent, souvent au moment le plus palpitant, le texte débité par l'acteur. Seuls les acteurs, eux, ne sem blent jamais « payer leur tribut » selon la locution consa crée, aux coryzas, laryngites, grippes et pharyngites d'automne. Une charmante actrice que j'interrogeai un jour à ce sujet, me disait que, à moins de fièvre et de maladie véritable, la nécessité de la scène suspendait mo mentanément toutes les manifestations si inromiiio'les ilci. nos voies respiratoires et du fonctionnement suraigu de notre cerveau. Les tousseurs de l'auditoire, eux, ne jouis sent pas de ces privilèges et de ces instants d'état de grâce. Malgré les pastilles et les baumes, les héroïques efforts qu'ils font pour rester silencieux, un chatouil lement incoercible, malin et intempestif, les tourmente avec une telle acuité qu'ils sont obligés de céder à l'ex plosion redoutée. Des « chuts » indignés accueillent ces tempêtes étouffées à demi. Celui-là, au balcon ou à l'or chestre, qui n'osait sortir son mouchoir, profite de ce. tintamarre pour se moucher avec un bruit de jugement dernier... Mais, direz-vous avec indignation, pourquoi tous ces indésirables mal en point ne sont-ils pas restés chez eux, se contentant des rêves suggérés par les \apeurs du- benjoin, de l'eucalyptus et du pérubore ? Mais parce qu'ils aiment le théâtre, qu'ils y étaient invi tés ce soir-là, qu'ils ne se croyaient pas si « pris » et que, ils ont bravé pour vous déplaire, la pluie, les courants d'air, la chaleur suffocante d'une salle trop pleine, la honte des éternuements retentissants déclenchés par la chaleur même de cette atmosphère théâtrale, et la honte aussi d'être conspués par les farauds qui ne toussent pas encore, mais qui, d'avoir respiré trop près de vous, em portent l'espoir de souffrir bientôt de vos mauxLa contagion rapide du rhume est une des preuves les plus convaincantes de la fraternité humaine... Que n'attiape-t-on aussi facilement, au vol, les idées, ou leurs parcelles, d'un homme de génie, si on a la chance de 1 avoir auprès de soi toussant et mouchant ? Il est vrai que l'on pourrait de même s'encombrer des folies ou des sottises distillées en miasmes de ^l'esprit par d'autres gens moins admirables... • Quelle bonne occasion lorsque, enfin, sérieusement pincé et vaincu par le dieu des rhumes, vous serez forcé de rester chez vous, de méditer dans un repos total et un abrutissement peut-être salutaire ! Ce logis, qui vous coûte toujours trop cher et que les impôts surchargent immodérément, ce logis, vous n'en profiterez jamais assez pour les tracas dont il vous grève. Grâce à ce rhume, ce rhume « formidable », vous allez comprendre et goûter les joies et le confort d'avoir un toit sur ce cerveau tuméfié. Les bonheurs du fauteuil profond, du lit frais, de la torpeur diurne, de la solitude respectée par la crainte salutaire imposée à vos amis par vos microbes* autant djagréments qui deviennent des nécessités. Or, ce repos fiévreux vous pouvez vous y livrer sans remords d'après le bon proverbe : « A l'impossible nul n'est tenu ». Les occupations, les devoirs sont obliga toirement suspendus autant que ce que l'on nomme les plaisirs. Prisonnier en apparence, vous voilà libre ! La liberté, il est vrai, vous mène par le bout du nez, mais elle est, quand même, la bien accueillie. Vous allez avoir, lorsque votre tête commencera à s'alléger, le temps de lire et de relire vos auteurs favoris. Vous rechercherez sur vos rayons les collections complètes de certains ouvra ges. Pour ma part, j'ai relu ainsi, avec ivresse, un bon nombre des romans de la Comédie humaine. Oubliant mes contemporains que j'aurais pu contaminer, je me suis entourée de personnages étonnants qui ne redoutent rien, ni du temps, ni du monde, qui sont toujours vivants même quand ils sont morts en n'ayant jamais vécu que dans le génie extraordinaire d'Honoré de Balzac. Les plus jolies femmes, les plus séduisants trarcons, les hommes les plus violents et les plus profonds, les vieil les dames les plus romanesques m'ont tenu merveilleu sement compagnie. A force de croire en eux, de les sentir-là, c'est mon rhume qui s?est transformé en quelque chose d'imaginaire, mais qui m'avait permis par la fiè vre et l'isolement de franchir, grâce à la magie des livres, les bornes de l'ennuyeux réel... Mais oui... le rhume a ses pouvoirs,le rhume a ses plaisirs... Gérard d'Houville....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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