Extrait du journal

(Deuxième journée) Venise, le 8 avril. Le charme des yeux continue — bien que le décor ne soit pas modifié — avec cet immuable ciel toujours bleu et ce grand soleil toujours chaud qui donne de si éclatantes couleurs aux pavoiseménts des maisons; mais les oreilles sont un peu lassées, car il n'y a dans l'air que des salves d'artillerie. A propos de tout, aujourd'hui encore, pour la sortie des souverains, pour la messe si émouvante célébrée devant eux sur le pont du de Moltke, pour les prières, pour les douze coups de midi que frappent strictement les Maures au sommet de l'horloge Saint-Marc, avec leurs marteaux d'airain; enfin, pour la tombée du jour, les canons du cuirassé allemand ont tonné et fait trembler tou tes les vitres du palais des doges et du quai des Esclavons. Cependant, à part cette profusion de poudre, la plusgrande simplicité préside à toutes les distractions impériales. Les réceptions des procuraties sont des plus familiales; les visites à l'église SaintMarc, au fameux pont des Soupirs, tou jours en relations avec les non moins fameux cachots des prisons d'autrefois, ont passé presque inaperçues ; et c'est dans une gondole semblable à toutes les autres — une fantaisie de Guillaume II — que les deux souverains ont assisté à la splendide sérénade de la dernière nuit sur le grand canal. Le coup d'œi.l est inoubliable. Une im mense pagode, toute couverte de feux blancs et verts, avait été construitepour les musiciens, sur un vaste radeau traîné par une hirondelle. Elle a descendu ainsi, lentement, harmonieusement, le grand canal, en s'acheminant vers le Lion de Saint-Marc, devant les palais qui semblaient devenus transparents. Autour de la pagode en feu, les gon doles suivaient et se pressaient en telle quantité qu'on aurait pu réellement, en passant de l'une à l'autre, traverser à. pied sec tout le canal. Vers onze heures, à la hauteur du pa lais de don Carlos,qui était tout embrasé, on reconnut tout à coup, dans une gon dole confondue parmi les autres, l'Em pereur et le Roi. Il y eut aussitôt une immense clameur ; la sérénade s'inter rompit et l'Hymne national retentit. Tandis que d'une rive à l'autre, sur le canal et sur les quais jusqu'au Lido, toutes les maisons et toute la terre se coloraient uniformément de rouge avec les flammes de Bengale. La Salute, l'île voisine, le palais des Doges, le Campa nile, les quais, le jardin public, tout semblait embrasé. Ce soir-là, comme pendant le jour, les acclamations .de la fouie, il faut bien le dire,s'adressaientsurtoutau Roi. Humbert I" est profondément aimé par. son peuple et il a à Venise comme à Flo rence, à Rome et partout, un renom de bonté qui en fait une sorte d'idole, quoi qu'on raconte au dehors ! Quant à l'empereur Guillaume, on lui sait gré dé l'amitié qu'il porte à l'Italie, du relief incontesté que sa puissance impériale donne à cette nation en proie à tant de crises; on parle de l'illustre allié comme d'une sorte de garantie de paix; on regarde la Triplice, dont il a été l'inventeur, comme une protection contre les "attaques des autres pays, protection qui n'émeut personne au fond du cœur et qui surprend beaucoup de gens, rien de plus. 9a venue n'a donc soulevé ni les bruyantes acclamations ni les chauds enthousiasmes:que la sim ple présence du roi Humbert occasionne partout. * ". Par contre, ses^ officiers que j'ai vus, ses marins que j'ai visités sur le bateau impérial, l'admirent, le vénèrent et 1 adôreiît. 11 est, , à leura yeux éblouis, l'homme extraordinaire, infatigable,...