Extrait du journal
cer plus efficacement! Car, sans avoir le moindre goût pour les excès commis par les dangereux disciples de Rous seau, et tout en déplorant les consé quences qu'ils ont tirées de ses ouvra ges, on peut subir l'attirance de ce génie extraordinaire , unique dans l'histoire par la durée et l'étendue de son action, et s'abandonner au charme profond, à l'irrésistible séduction de son âme déli cate, irrégulière, compliquée, et malheu reuse infiniment. Notez d'ailleurs que cet homme sur qui l'on a tant écrit est peu connu ou l'est fort mal. On le juge à travers les opinions, ou les préjugés, ou les croyances. qu'on peut avoir. On est d'avance, et les yeux fermés, pour ou coutre lui. Si l'on.aime la Révolutipn, l'on est prêt à tout lui pardonner ; si l'on ne l'aime pas, on le traite comme le der nier des misérables. Ceux qui l'étudient de plus près participent de ces senti ments extrêmes : ils l'aiment ou le haïs sent, ils le veulent sublime ou scélérat. Une femme de grand coeur, mais dont le sens critique me paraît discutable, Mme F. Macdonald, a consacré vingt ans de recherches admirablement ingénieuses et savantes èi le laver de quelques-uns des reproches qui pèsent sur sa mémoire, à démontrer qu'il fut abominablement ca lomnié parses contemporains. Mesera-t-il permis de rappeler, en passant, que ces recherches mêmes m'ont fait accuserpar la Revue de l'avoir « diffamé », parce que j'avais écris une petite pièce sur l'histoire de ses enfants, d'après l'aveu qu'il en fait lui-même; tandis que d'au tres, en compensation, me reprochaient d'excuser ses égarements paternels en faveur de son génie. Tant il est difficile d'être compris quand ,on parle de cet homme sans chercher autre chose que la mesure et l'équité ; tant il entre peu dans l'esprit de qui que ce soit qu'on puisse évoquer avec sérénité la grande ombre troublée, le pauvre mort ballotté aux vagues de nos disputes, et dont les os mêmes n'ont pu goûter la paix qui lui fut toujours refusée ! Mais — comme j'ai déjà tâché de le dire ici même il y a deux ou trois ans — ce n'est pas ainsi que se pose « l'énigme ». On ne parviendra jamais à prouver que Rousseau fut un « brave homme », dans le sens bourgeois ou puritain du mot. Peut-être prouverait-on plus aisément le contraire, textes en main, et l'on serait tout aussi injuste, tout aussi loin de la vérité. Si l'on tient à le juger — et quelle œuvre vaine que de juger les morts! — il faut sortir du domaine des faits, "ott beaucoup demeurent à sa charge, entrer dans celui des sentiments, le regarder souffrir, écouter la longue et profonde résonance des événements dans son âme. Il faut tâcher de revivre une ou deux années de sa vie, non pas en re construisant fil a fil la trame de ses jours, mais en pénétrant daps son cœur tourmenté. Il faut le voir se débattre, avec ses scrupules affolants et ses torturantôs délicatesses, au milieu des enne mis, des envieux, des jaloux qui l'ont très réellement haï et persécuté, et qui l'ont condamné, et dont aucun ne le va lait. Il faut, en un mot, le comprendre, — et c'est le laisser en dehors des bru tales catégories où l'on ne peut l'en fermer. Je l'ai, dit partout où j'ai parlé de lui, et je n'ai pas été le premier à le dire, et tous ceux qui l'ont regardé vivre sans parti pris l'ont bien vu : Rousseau fut un être exceptionnellement, infiniment com plexe. Comme dans toutes les âmes hu maines, le bien et le mal cohabitaient dans la sienne. Peut-être différait-elle des autres en ceci, que ces deux éléments s'y mêlaient à plus hautes doses : la richesse de son tempérament, les hasards de son éducation, les incertitudes de sa santé, les catastrophes de sa vie l'expliquent assez. Il lui arriva de mal faire : n'est-ce pas le lot commun? quel est l'homme qui n'a rien à se reprocher? quel .est celui, surtout, à qui l'on ne trouverait rien à reprocher ? Mais il ne cessa jamais d'aimer le bien. Et il l'aima avec une force, une ardeur, une passion dont il y a peu d'exemples, — dont aucun de ses plus illustres contemporains, gens, au pœur sec, ne fut jamais capable. Il ne se contenta pas de l'aimer; il le pratiqua souvent, surtout dans la fin de sa vie, où sa renonciation et son désintéressement touchèrent au sublime. Si ses critiques le méconnaissent, c'est parce que les hommes sont trop enclins à juger leurs semblables par leurs fautes ou leurs erreurs, comme si,,dans l'ordre moral, quelques gouttes de poison devaient em poisonner une coupe d'eau pure. Tel qu'il fut, cependant, sa figure se dé tache dans la galerie de son temps avec une auréole de délicatesse, de bonté — je dirais même de pureté si j'avais ici l'espace de démontrer une affirmation que beaucoup prendront pour un para doxe — qui lui vaudront toujours les sympathies de quiconque s'approchera de lui. M. Lemaître, qui connaît les hom mes et qui est « humain », ne manquera pas, j'en suis convaincu, de saisir et de dégager ces complèxités, ces contra dictions, ce mélange. La nature même de son esprit l'y convie, et l'on peut at tendre de son travail un Rousseau plus complet, plus nuancé et plus vrai que celui que nous connaissons jusqu'ici. Edouard Eod,...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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