Extrait du journal
mouvements dû lansquenet, le jeu même que jouait Des Grieux. Le lansquenet peut compter parmi les trouvailles que nous avons faites, de nos -jours, dans les vices du temps passé. C'est un jeu bête et brutal, où le hasard' seul dispense à son gré, la perte à ce lui-ci, le gain à celui-là, la ruine à tous. Ce jeu de tabagie et de mauvais lieux eut bien vite envahi la meilleure com pagnie, et l'esprit le plus hardi se re fuse. à compter le nombre des fortunes qu'il a dévorées. C'était donc au lans quenet que s'exerçait ce malheureux jeune homme; il s'était enseigné à luimême plusieurs tours infaillibles que savait si bien M. Lescaut, le frère de Manon, et que M. Lescaut enseignait à Des Grieux. Oui, mais le joueur a le nez fin, l'ouïe alerte; il est intelligent des moindres dé tails de sa passion, le jeu! Un geste, un coup d'oeil, un silence, un bruit, le tiennent également attentif ; il est vrâiment doué du suprême sens, et quand on triche, il le pressent, il le devine, -il le sent!. Les joueurs au lansquenet eurent compris bien vite que ce maLheureux ne tenait pas des cartes loyales, et tout de suite ils s'entendirent, afin de le surprendre sur le fait de sa tricherie, et de l'anéantir lui et son jeu. Sur l'entrefaite arrivèrent les fêtes de Chantilly. Le royal Chantilly qu'animent la course et là chasse haletante, appelle à lui les reines de la beauté, les princes de la jeunesse; on n'entend, le matin, que le bruit du cor ; on n'entend, le soir, que le son des violons ; —les plus beaux coursiers et les plus belles dames de Londres, de Vienne et de Paris sont ac courus à cette fête, indigne peut-être d'être offerte au grand Condé, mais que ne renierait pas M. le Prince, l'amant de Mme de Prie, et premier ministre d'un roi de dix aps. Dans un coin du château même (en ce temps-là nos princes étaient très jeunes, et l'héritier de Chantilly était loin de sa majorité) on prépare pour le soir un grand jeu. Les'joueurs sont désignés, les cartes sont comptées, chacun est dans le secret, et pas un qui laisse rien transpirer de cette embûche. On dîne, on rit... et dans i'épanchement de la joie et du vin, entre jeunes gens du même âge, qu'ils aient ou non porté l'uniforme, et qui avaient plus ou moins payé leur dette aux passions de la vie, il n'y en eut pas un seul qui, d'un geste ou d'un signe,ait songé à prévenir ce malheureux lieute nant qu'il touchait à l'abîme. Il est vrai que lui-même il n'avait jamais montré plus de franche gaieté, car c'était un bel esprit, un railleur, un gentilhomme avec la désinvolture et les grâces de son état. Voilà qui va bien. Arrive enfin l'heure du jeu, et voilà nos gens attablés, tous les regards sur les cartes, toute l'atten tion sur l'homme suspect. Nul ne le refardait, chacun le voyait jusqu'au fond e l'âme. Lui, cependant, souriant, im passible et beau joueur, il ne se mit pas tout de suite à l'œuvre ;-au contraire, il perdit galamment « quelques centaines de louis » i (on parle ainsi dans ce monde-là où les louis d'or sont traités comme les feuilles des bois que l'au tomne a jaunies), et ce qu'il perdait, il le payait « rubis sur l'ongle », disant que la chance était mauvaise et proclamant tout haut (il ne savait pas si bien dire] 1 qu'il serait ruiné tout à l'heure. Le jeu alla ainsi de l'un à l'autre, et jamais dans les plus fortes parties ne se rencontrèrent tant d'angoisses qu'à ce jeu de lansquenet, ceux-ci espérant que l'accusation était fausse et que vraiment ils jouaient avec un galant homme, et ceux-là s'impatientant de ne pas arriver, tout de suite, à une conclusion qui leur semblait inévitable. Ainsi, pendant deux heures, on eût dit que ce malheureux pressentait sa perte; à peiné s'il touchait...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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