Extrait du journal

Alexandre Dumas fils me disait un jour : « Si un jour nal s'avisait d'imprimer que j'ai pour habitude, quand on m'invite a dîner, de voler les couverts d'argent, je ne lui intenterais pas un procès, quitte à ne m'asseoir à table qu'avec des amis, et a refùser les invitations de ceux qui pourraient se laisser émouvoir par de semblables ca lomnies. » Je partageais la manière de voir de l'auteur du DemiMonde, et je lui disais que, le cas échéant, j'agirais en tout point comme lui. Je conviens aujourd'hui que j'avais trop présumé de mes forces. Un journal, dont les rédacteurs couchent à la nuit, et qui abrite dans ses bas-fonds les rancunes de quelque drôlesse aux camélias — et de la compagne de chaîne d'un forçat du treizième, — vient de publier contre moi un article infâme. Les imputations calomnieuses aux quelles il se livre sont d'une telle nature et d'une telle au dace, qu'a cela près de l'assassinat, j'y suis accusé de tous les méfaits, de tous les crimes. En voyant d'où part la ca lomnie et quels sont mes calomniateurs, mes amis se sont groupés autour de moi et ont pensé que je n'avais qu'un parti à prendre, celui de déférer h la justice cette agression inouïe. C'est ce que j'ai fait; mais ce n'était point assez. Je ne suis pas seulement un homme privé, un père de famille; en ma qualité de journaliste, je suis un homme de discussion, obligé en quelque sorte, par la publicité dont il dispose et l'influence qu'il s'est acquise, de penser et d'agir au grand jour. Si je n'ai pas h me défendre contre de certaines atta ques, et surtout contre de certains hommes, il est de mon intérêt, il est de mon devoir de ne pas "laisser égarer l'opinion sur mon compte. Pour moi, pour ma famille, pour mes amis, le dédain et une réparation judiciaire peuvent être suffisants : ils ne sauraient l'être pour les inimitiés intéressées que me suscitent journellement, on doit le comprendre, les vives allures de la feuille que je dirige. Des ennemis, embusqués derrière un journal sans res ponsabilité, m'accusent? —Je leur tourne le dos, mais...