Extrait du journal
inciter au sacrifice), est né à Rennes il y à une trentaine d'années ; il entra de bonne heure comme apprenti chez un mécanicien , . ayant reçu de fortes leçons de son père, excellent ouvrier. Beau parleur, il sut se faire parmi ses camarades la réputation d'un esprit fort. Grâce à une certaine habileté de main., et grâce aussi, il. faut bien le dire, à un grand courage à l'ouvrage, il par vint très vite à gagner largement sa'vie. Le soir, après la fermeture des ate liers, il réunissait, soit au comptoir d'un marchand de. vin, soit, dans sa man sarde Jes camarades d'usine et leur fai sait de longues conférences politiques. ■Nommé.-conseiller municipal socia liste alors qu'il était ouvrier de la maison Haillot de Saint-Nazaire, il se mit à la tête, en juin 1893, de la fameuse grève du bassin et fut chargé par les camarades des négociations avécles pa trons armateurs. C'est alors que la haute personnalité du citoyen Abraham s'af firme nettement, et que l'on commence à voir toute la grandeur d'âme et le ca ractère désintéressé de celui qui va par tout prêchant le partage et vantant les bonheurs futurs de l'âge d'or qui doivent ramener avant peu, la parfaite égalité, le grand phalanstère et tout lé fatras for mant le bagage de ce voyageur en grèves. * Dans ses entrevues avec les patrons, Abraham se montre conciliant sur la -question de la hausse des salaires ; mais il s'indigne bien fort et se plaint amère ment de ce que les déchargeurs soient frustrés dans leur gain, prétendant que le temps de leur travail n'est pas inté gralement vérifié. Exploitant avec une étonnante habi leté cette idée, et l'ancrant dans l'esprit de ses prétendu» frères, les ouvriers gré vistes, il arrive dès lors à se faire une réelle situation à leurs yeux. Il est seul censeur des comptes des ouvriers déchargeurs, et nul d'entre eux n'a le droit de toucher son bulletin de paye sans l'autorisation et le paraphe d'Abraham ! • Le défenseur du bon droit de l'ouvrier se renseigne désormais sur le tonnage du navire, en douane, chez le courtier, auprès du capitaine, etc., il constate, quoi qu'il en ait dit lui-même; que le tonnage exact a bien été inscrit au prix convenu, et que le bon de paye des ou vriers déchargeurs a bien été .établi au prorata des heures de présence.... Mais il touche pour ses peines et soins 0 fr. 25 par homme et par navire. Et les ou vriers déchargeurs se faisant gloire de leur défenseur, l'intègre conseiller mu nicipal, signent des deux mains et paient régulièrement leurs cinq sous!Il est vrai qu'Abraham menace les récalcitrants des foudres du syndicat : les rentrées se font donc régulièrement, et, vu l'immense quantité de navires qui viennent chaque semaine décharger leurs cargaisons en rade de Saint-Na zaire; il constitue.à l'aide de cette nou velle dîme une très aimable opulence. Non content de ce petit commerce, le rusé compère a su très habilement s'en adjoindre un second: en effet, Abraham tient aujourd'hui une buvette rue de l'Amiral-Courbet, à la porte de laquelle se'balancé l'enseigne symbolique « A la Solidarité ». Cet estaminet a été entièrement payé et installé par les 'ouvriers reconnais sants, car chacun d'eux a défilé chez le citoyen Abraham, apportant son obole pour l'organisation et l'achat du fonds de cette institution vraiment humanitaire. *** Cependant les rêves d'ambition n'ont pas fait perdre de vue à Abraham le sens vaiment pratique des choses : inutile de dire que le nouveau traiteur a renoncé à son ancien état de mécanicien et qu'il préfère infiniment gagner sa vie en bu vant force calvados que lui offre sa trop naïve clientèle.. : Là vérification du bulletin de paye lui offre une merveilleuse occasion de bien établir l'achalandage de la solidarité. Il dit à l'ouvrier qui lui soumet son compte et qui semble pourvu dé quelque monnaie : « II,y a quelque chose que je ne saisis pas bien. Diable ! votre livret me semble bien embrouillé, il faut éplucher cela de près, ou vous allez encore vous laisser exploiter par ces infâmes patrons. Venez, chez moi, nous serons plus tranquilles. » L'ouvrier, en entrant dans la buvette, est obligé de consommer; la vérification de son compté est d'autant plus longue que le client semble plus altéré, et lorsqu'Abraham voit, que l'ouvrier n'a plus soif, il lui dit le plus souvent : « Allez, votre compte est exact, c'est moi qui me trompais; il ne vous reste plus qu'à me régler ces quelques verres et le prix de ma consultation.» Et le malheureux déchargeur s'en va les poches .vides, mais bien persuadé qu'il est admirablement défendu contre les accapareurs. La chronique de Saint-Nazaire ajoute qu'Abraham donne aussi moyennant 1 franc, modeste.rétribution,des consul tations d'avocat et que,, durant la pre mière semaine des.grèves de Trignac, 25 francs par jour. lui étaient alloués par certaine comités : je crois ce dernier détail exagéré ou inexact ; l'ancien ouvrier est trop adroit "pour cela. Il a.dû offrir ici son dévouement gratis et rêver une agence pour les ouvriers mé tallurgistes* une sorte de seconde édi tion de son agence pour les ouvriers dé chargeurs. Mais ce qui est certain,, c'est que ce marchand de vin roublard , réduit aujourd'hui à jouer le commis voya geur en grèves en province, est ar rivé, grâce à une certaine faconde dé clamatoire et au prestige de sa bicy clette, à arrêter complètement le travail dans une des usines les plus importantes de France; au risque de causer mille désordrés dans ce malheureux pays. Et le voici maintenant, pour comble de réclame, qui reçoit le concours de quatre députés socialistes ! Que fera le gouvernement/fort de sa majorité, pour nous défendre contre tous ces conseil leurs de grèves? Un peu de courage et un peu de poigne, s. v. p. Il y a. urgence, comme on dit au Pa lais-Bourbon.- ' Un Bçurgeois de Trignac....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
En savoir plus Données de classification - félix klein
- de sandrans
- ireland
- latour-maubourg
- lamyre
- kiœs
- fossé
- saintpierre
- cotélle
- epernay
- paris
- abraham
- france
- trignac
- europe
- argyll
- alençon
- beauvais
- la loire
- cour
- conseil d'etat
- immobilière
- sorbonne
- flammarion
- conservatoire
- f. m.
- beau parleur
- institut catholique de paris