Extrait du journal

C'est à la campagne qu'il convient de l'al lumer, comme faisaient nos pères, par une soirée fraîchissante du premier automne, où soudain des brouillards ont flotté sur la plaine; brouillards si fins, si ténus, si timides encore qu'à peine, vers la fin de la promenade, les pouvait-on distinguer de cette gaze légère par laquelle, depuis la mort de l'été, le soir s'an nonce sur l'horizon. Au jardin, cependant, souffle une brise humide ; les dahlias inclinent lourdement la splendeur humiliée de leurs fronts ; voici qu'auprès du seuil une des der nières roses, d'un seul coup, a laissé choir ses pétales. On frissonne à la regarder ; et davan tage à pénétrer dans la maison envahie par le crépuscule : «— Vite, du feu ! » La che minée, depuis des mois méprisée, groupe autour d'elle les promeneurs avides de sa tiédeur sereine ; elle reprend dignité d'autel domes tique : la maison qui, pendant la saison chaude, n'était plus qu'une retraite ou un abri, va redevenir un foyer. Fi de ces appartements trop modernes., où des architectes à l'âme mathématicienne, sous le prétexte d'épargner la place et l'argent, ont refusé d'installer au moins une cheminée ! A quoi bon ? disent ces calculateurs impérieux : n avez-vous pas les radiateurs qu'alimente, monstre -souterrain, la chaudière du chauffage central ? Bientoc. c est au centre même de la eue qu on placera 1 immense brasier Commun ; la chaleur * chacun sera distribuée comme 1 eau, le gaz, 1 electricite, les musiques et les conférences de la T. S. F. Chaleur anonyme, soigneusement dosée, toujours égale, toujours présente ; on serait mal venu de n'en pas louer le bienfait. Mais avant qu'elle répande partout sa douceur quiète, il est bon qu'une humble cheminée de campagne nous permette, en ces jours, de refaire connaissance avec le feu vital, avec le feu sacré qui fut, pour les premiers hommes, objet en même temps d'épouvante et d'adoration. Autour des bûches disposées avec un art qui ne doit rien aux lois d'une abstraite sy métrie — chacune des cheminées a ses caprices, — la flamme fait courir d'abord une lente caresse ; elle avance, recule, s'étire, se tord, se roule en volutes, se découpe en dentelles, tour à tour bleue, rosée, pourpre, vermillon, habile à toutes les métamorphoses de couleurs et de formes, jusqu'à ce que, brutale, elle attaque le cœur du bois et lui tire on ne sait quels gémissements. A partir de ce moment, elle est maîtresse du foyer : il n'est que d'en tretenir sa force insidieuse. Il semble, cependant, que, grâce à un sor tilège, elle se soit emparée des esprits et des cœurs. Far son rythme, par ses colorations, par son rayonnement, elle Suscite mille rêves. On avait pris un livré que l'on comptait feuil leter avec Un brin de paresse au coin du foyer retrouvé. L'esprit court loin des pages ; il voudrait s'enivrer de flatteurs espoirs, cons truire. pour les semaines d'activité désormais toutes proches, une vaste architecture de pro jets. Mais des regrets l'assaillent en essaims ; inquiet de l'avenir, il s'envole obstinément vers le passé. Quelle magie, au coin du feu, nous appelle sans cesse en arrière ? La flamme est ardeur ; elle est cendre aussi. Ah ! dans le premier feu d'automne, si nous pouvions jeter tout ce qui nous alourdit : espérances déçues, expériences amères, vœux déraisonnables, et surtout, ah ! surtout, tant de vains souvenirs ! Maurice Levaillant....