Extrait du journal

Lorsque j'apprenais l'histoire sainte on me contait qu'après la chute de nos premiers parents le Seigneur, dans sa colère terrible, leur infligea le travail comme un châtiment. Au temps où j'étais une petite fille flâneuse, l'hypothèse me parut d'une inébranlable solidité; depuis, je suis devenue une vieille personne mieux instruite du fond des choses, et je commence à croire que peutêtre nous a-t-on fait un compte rendu inexact des regrettables incidents du paradis terrestre. La bonté de Dieu est infinie et merveilleuse ; rien ne m'ôtera de l'idée qu'en les obligeant à travailler il n'ait voulu donner à l'absurde Adam, à sa sotte femme et à leur ridicule descendance le moyen de retrouver quelque chose, de la grandeur perdue. Il savait ces pauvres diables incapables de se tirer tout seuls de la mauvaise position Qu 'ils s'étaient mis, et qu'il fallait les aider: il leur a commandé la tâche où ils devaient trouver l'oubli de leur déchéance, et, puisqu'ils n'avaient voulu savoir qu'afin de s'égaler à lui, il a permis qu'ils eussent par leurs sueurs douloureuses, par l'effort des muscles et l'angoisse du génie l'illusion de créer eux aussi, de tirer des formes raisonnées du chaos de la matière. Voilà certes à quelles fins le Seigneur imposa à sa créature, toujours aimée malgré son crime, la loi du travail, du dur et magnifique travail, du travail sacré 1...