Extrait du journal

O11 a donné de l'cchec de l'empereur et roi Charles, en Hongrie, les explications les plus sages et les plus folles. On a parlé de son manque d'énergie, de son impopularité, du veto du Parlement. Ce sont des raisons qui font plaisir. Mais personne, je crois, n'a songé à la principale : l'ancien souverain n'avait point de costume éblouissant ou ca ractéristique. Tout est là. Charles I01' est arrivé vêtu d'un uniforme banal, d'un de ces habita militai res, comme 011 en porte aujourd'hui' qui osent à peine s'affirmer résolument élégants, qui tiennent de la redingote bourgeoise et du veston populaire. Qui -donc, je vous' le de mande, eût été disposé à soutenir la cause d'un homme qui osait ainsi conspirer ? Une conspiration, même à notre époque, c'est toujours un peu de l'opérette. Il faut bien qu'il eu soit ainsi. On ne monte ■ pas l'imagination des foules en descendant d'au tomobile, enveloppé dans un pardessus noir. 11 faut être à cheval, avoir de l'allure, tenir im grand sabre et prodiguer des sourires. Il faut toujours s'habiller selon les circonstan ces, et 11e pas aller à la conquête d^un trône sous les vêtements qu'on mettrait pour se rendre au restaurant. Imaginez un instant, que Napoléon soit re venu de l'Ile d'Elbe sans petit chapeau ni re dingote grise, qu'il se soit présenté aux régi ments qui l'attendaient sur la route de Gre noble, en bon rentier paisible et content de. rentrer chez soi ! Croyez-vous que les fusils 11e seraient pas partis tout seuls. Il 11'eût pas fait cent lieues sur la terre de France. - Mais il connaissait les hommes. Il savait qu'on leur impose moins une individualité qu'un type, moins une volonté qu'une forme, moins un maître que sou aspect extérieur. Si Charles Ie', du temps qu'il était monarque avait choisi un uniforme particulier, qu'il eût été seul à porter, il n'aurait eu, pour ten ter son coup d'Etat et pour le réussir qu'à remettre cette défroque glorieuse. Un peuple entier l'acclamait comme son sauveur ! Il est bien entendu qu'aujourd'hui," on fait fi de ces petits détails. On est convaincu que l'intelligence et la sensibilité humaines ont changé depuis un siècle, qu'elles ne se laissent plus prendre aux apparences, et qu'il leur faut de sérieuses réalités !■ L'expérience" malheureuse de Charles Ior convaincra-t-elle les conspirateurs futurs qu'il n'y a qu'un moyen de parvenir à leurs fins : remettre perruque blonde et collet noir ? Ce n'est pas sûr. Et pourtant tous devraient prendre pour règle de conduite cet axiome ; il est inutile de tenter un coup d'Etat s'il ne peut pas, dix ans après, être mis à la scène ou s'il n'est ; pas photogénique, je veux dire s'il ne four nit pas la matière d'un bon film. Et si le héros de la conspiration n'est pas capable de donner « un gros premier plan » sensation nel, soyez assuré qu'il est incapable de pré tendre à jouer un rôle dans le cinéma de la politique. René Bizet....