Extrait du journal

? Une des surprises consolantes de cette guerre, c'est l'héroïsme inattendu et pour ainsi dire général qu'elle révèle soudain chez tous les peuples qui y prennent part. On croyait volontiers que le courage, l'endurance physique et morale, l'abnégation, l'oubli de soi, le re^ noncement à tout bien-être, la faculté de se sacrifier et d'affronter la mort, n'appartenait qu'aux peuples les plus primitifs, les moins heureux, les moins intelligents, les moins capables de raisonner, de se rendre compte du danger et de se représenter par l'imagination l'effroyable abîme qui sépare cette vie de celle que nous ne connaissons point. On. était même bien près de se persuader que les guerres s'éteindraient quelque jour faute de soldats, c'est-à dir . faute d'hommes assez aveugles ou assez malheureux pour hasarder,au profit d'une idée plus ou moins invisible comme toutes les idées, les seules réalités incontestables que chacun possède ici-bas, à savoir sa santé, son bien-être, l'intégrité 4e son corps et avant tout sa vie qui surpasse tout ce qui existé. Il était d'autant plus naturel de céder à la pente de ce raisonnement, qu'à mesure que l'existence devenait plus douce et les nerfs plus sensibles, les -moyens de destruction désola guerre s affirmaient plus cruels,"plus implacables et plus irrésistibles. Il paraissait de plus en plus vraisemblable que nul homme ne supporterait plus les horreurs infernales d'un champ de bataille ; et qu'après les premières hécatombes, les armées enne. mies,: officiers et soldats, prises d'une panique incoercible, fuiraient, en se tournant le dos, dans une épouvante naturelle et simultanée, les fléaux surhumains qui dépassaient les plus monstrueuses prévisions de ceux qui les avaient déchaînés....