Extrait du journal
On disait de M. de Talleyrand, quand il était souffrant : « Quel intérêt a-t-il à être malade ? » On ne se pose évidemment pas la même question' à propos de l'empereur Guil laume, car il saute aux yeux que sa maladie n'est pas une maladie de commande, mais on veut à tout prix, au contraire, que le mal soit beaucoup plus grave que ne l'ont dit les bulle tins officiels. Le propre des bulletins officiels est, d'ailleurs, de n'être jamais crus. Et tout ce qu'ils pourront dire se retournera toujours contre eux. Voyez ce qui s'est produit quand on a an-; noncé la maladie, ou, plus exactement, l'in disposition de Guillaume II. Les médecins, afin de prévenir toute fâcheuse interprétation, ont donné les détails les plus circonstanciés sur la légère opération que l'Empereur avait eu à subir. Ils l'ont minutieusement décrite, et n'ont reculé devant aucun terme technique. Aussitôt les gens de hocher la tête d'un air entendu : — Hum! hum!... pour qu'on entre dans tant de' détails, c'est vraiment que l'opération n'é tait pas si simple!... Notez que ces mêmes gens, si les bulletins avaient été plus laconiques, auraient dit : — Ohl oh!... il faut que ce soit joliment grave pour qu'on ne donne aucun détail!... ■ D'autres s'étonnent que puisque le cas était insignifiant, on n'ait pas, par avance, fait con naître parla voie de la presse que l'Empereur allait subir une opération. Mais vous voyez d'ici quel beau tapage se serait produit si on avait ainsi procédé. On eût fait alors,, et avec plus de justesse, le raisonnement opposé, et tous les journaux du monde entier auraient^ proclamé que pour avoir éprouvé le ibesoinl d'annoncer à l'avance -une opération de cette; nature, il fallait que les médecins , eussent uni très grand souci de dégager leur, respon-j sabilité. • < De sorte que d'aucune' manière, il n'y avait la moindre, chance d'arriver à contenter l'opi nion. On l'a bien vu le lendemain, à propos du départ pour la chasse du prince héritier. Cette partie de chasse était projetée depuis plusieurs jours. Il était donc tout naturel qu'elle eût lieu.. Mais de nouveau, les gens ont froncé lis sourcil, ét tiré un nouvel argument de cette chose si simple : ' — Si le kronprinz est parti pour la chasse, c'était sûrement pour donner le change, et afin de laisser croire que l'état de l'Empereur était satisfaisant... Mais vous représentez-vous ce qu'on aurait dit si cette partie de chasse avait été décom mandée, et si le jeune prince était resté au près de son père? C'est alors que les commen taires auraient marché 1 II n'en aurait pas fallu davantage pour qu'on prétendît que Guillaume II était à l'agonie. Il n'y a donc rien à faire, comme dit l'excel lent Guy dans l'Adversaire. Il faut que les empereurs et que les rois, et, en général, tous les grands de la terre, se résignent à voir leurs maladies dénaturées et travesties comme le sont toujours leurs moindres faits et gestes. Rappelez-vous ce qui se passa lorsque le roi Edouard d'Angleterre eut à subir l'opération de l'appendicite. Malgré les affirmations réité rées des médecins, personne ne voulut croire que c'était là la véritable maladie. On se livra aux pronostics les plus pessimistes, et il parut évident, à lire les sous-entendus des plus gra vés journaux, qu'une catastrophe était à la veille de se produire. Il n'en fut rien,Dieu merci, et le roi Edouard; — on a pu le constater quand il vint dernière ment à Paris — a aujourd'hui une santé dont les gens les mieux portants s'accommoderaient. Lés plûs infaillibles prophètes sont forcés de convenir qu'ils se sont trompés. L'empereur Guillaume connaît donc le moyen — le seul — d'empêcher les commentaires et de couper court aux gloses. Il n'a qu'à se remettre au plus tôt et à re prendre sa vie passée comme si de rien n'é tait. Chaque jour qui passe est pour lui une démonstration plus éloquente que tous les bulletins et tous les communiqués officiels. Et qui sait ? dans une quarantaine d'années d'ici, si aucun accroc ne lui- survient, les gens les plus soupçonneux voudront bien, sans doute, reconnaître qu'il n'était décidément pas aussi malade qu'on l'avait cru... ' G. Davenay....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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