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Le Figaro, 12 janvier 1940

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Le Figaro
12 janvier 1940


Extrait du journal

Par MAURICE PONNAY de l'Académie Français» ANS. le salon d'une vieille maison de province, isolée au milieu de la campagne couverte dé neige, quel ques personnes écoutaient dernièrement" les infor mations à la radio. Le speaker, d'une . voix monocorde, disait un glorieux épisode de la lutte des Finlandais con tre les hordes soviétiques. A la même heure, à tous les auditeurs, par tous les postes de France, les ondes hert ziennes transmettaient cette phrase : « La résistance héroïque de la Finlande fait l'admiration du monde entier. » Dans le salon familial, il s'était fait un long silence. Un octogénaire qui, comme il disait, « en était à sa troi sième guerre », sortit enfin de sa rêverie. — Lorsque j'étais enfant, dit-il, j'habitais avec mes parents un petit h'ôtel à Ménilmontant, une ancienne folie. J'étais curieux et, malgré la défense de ma mère, par la grille du jardin, je regardais les scènes de la rue. Il y avait souvent des rixes et. des combats singuliers dans .ce quartier populeux. Un, jour, après quelques paroles brè ves, mais significatives, deux garçons en ' étaient ; venus aux mains, c'est-à-dire aux poings et aux pieds. Un des combattants était plus grand et plus fort' que l'autre ; mais ce dernier se battait avec un couràge qui faisait l'admiration des spectateurs, car un rassemblement s'était formé autour des deux garçons et la sympathie de tous allait au plus petit. Sur ce point, nul doute possible. J'avais déjà horreur de la brutalité ; j'aurais donné ma toupie, ma ficelle, mon couteau, mon porte-monnaie, j'au rais donné tout ce que j'avais dans mes poches pour. que ce combat cessât. Qùànt aux gens du rassemblement, ils paraissaient amusés par le spectacle de cette lutte inégale, sinon amusés du moins anxieux de savoir comment elle se terminerait. Il y avait là des gamins, des femmes, des hommes. Des hommes ! J'étais indigné qu'aucun d'eux ne songeât à séparer ces enfants. J'entends encore un gros homme encourager le *plus petit et lui crier. d'une voix blanche : « Mets-le dessous et tape fort » Facile à dire, pensais-je. — Conseil de neutre, dit un poète qui n'en était qu'à sa deuxième guerre. — Et comment cela s'est-il terminé ? demanda une jeune femme qui tricotait un passe-montagne pour un soldat, là-bas, sur la ligne Maginot. — Je ne sais pas, répondit l'octogénaire narrateur. Ma mère survint et m'arracha de mon observatoire. Mais, ces temps-ci, .chaque fois que je lis cette phrase : « La résistance héroïque de la Finlande fait l'admiration du monde entier », je pense à l'encouragement du gros hom me : « Mets-le dessous et tape fort ! » Cependant, le maître de la maison qui n'était pas, lui non plus, un tout jeune homme, avait pris un livre dans sa bibliothèque et il nous lut cette page : « Si le présent ne reclame pas le secours de la cheva lerie chrétienne, il peut venir des jours où les peuples n'en dédaigneront pas la résurrection. Oui, il peut venir des jours où, pour se défendre de la barbarié, l'épée vulgaire ne suffira plus, où Ï4 science prise dans ses pro pres inventions aura besoin de la foi et de la charité pour sauver l'honneur et la liberté du monde par des. armes dont l'ennemi restera dépourvu, toutes les autres étant à son service, parce que toutes les autres ne demandent que de la chimie et des bras. Tôt ou tard, peut-être, le mal prévaudra par la puissance physique : il faudra que le bien, retrempé à d'autres sources, arbore la croix aussi haut que l'épée. » — C'est joliment bien, ça, fit la jeune dame au tricot qui exprimait toujours avec simplicité sa pensée. De qui est-ce ? — Evidemment, dit celui qui venait de lire ce beau passage, c'est mieux que « mets-le dessous et tape fort. » C'est en 1845 que, du haut de la chaire de Notre-Dame, le R. P. Lacordaire prononça ces paroles par lesquelles il semble prévoir l'hitlérisme et le bolchevisme. Cette invasion de la barbarie, cette science prise dans ses pro pres inventions, nous y sommes en plein. Le prédicateur prévoit aussi le jour où les peuples ne dédaigneront pas le retour à la chevalerie. Nous n'y sommes pas encore. Pour cela, la dernière guerre aurait dû être une leçon suffisante ; mais une autre leçon était sans doute nécessaire, après laquelle l'esprit de chevalerie animera tous les hommes civilisés. Les Français et les Anglais combattent pour l'honneur et la liberté du monde. La résistance héroïque de la Finlande fait l'admiration uni verselle ; mais on aimerait que les autres peuples mena cés comprissent au moins que « chevalerie bien ordonnée commence pas soi-même ». Ayant ainsi modifié un vieux proverbe, à vrai dire plus utilitaire que généreux, le maître de la maison remit les Pensées du R. P. Lacordaire dans sa bibliothèque....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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