Extrait du journal
par Georges DUHAMEL ^ de l'Académie française. AU début du mois de décembre dernier, je fus prié de prendre part aux travaux et cérémonies qui devaient accompagner, en Roumanie, la semaine du livre français. J'étais en société de ma femme et de deux amis : Jean-Louis Vaudoyer et André Thérive. Nous décidâmes de voyager par la ligne du Simplon et quittâmes Paris le soir. Il faisait un temps gris, morose, modérément froid. A notre premier réveil, en Suisse, dans la vallée du Rhône, nous fumes pris par la neige. Et, le long tunnel passé, nous eûmes la joie d'assister au simple et beau miracle que j'ai dix fois admiré : sur le versant méridional des Alpes, l'air était pur, seç et tiède, le soleil brillait dans un azur fin, sans nuage. Je sais que cette grâce du ciel enivre les hommes dû Nord au point de leur faire perdre, sinon le sangfroid, tout au moins la réserve naturelle. Mais le plaisir que j'éprouvais ce matin-là n'était pas seulement l'œu vre capricieuse de la lumière. Je regardais ces paysages dont la pensée, depuis mon adolescence, n'a cessé d'orner ma vie. J'admirais ces villages gracieux, délicieux, si "bien placés, si bien construits, 'ei'bien ornés, si mervetU~ leusement faits pour une vie noblè et charmante. J'adini rais ces jardins qui, même rustiques, même pauvres, ont une beauté légendaire et, soudain,' ma joie se mêlait d'amertume, je m'écriais silencieusement : « O pays béni, terre naturelle de l'art et de l'intelligence, est-il possible que tes maîtres actuels aient fait une alliance impie avec les avides Germains ? Ces Germains, je les connais et je ne les méprise point. Us ont de terribles vertus, bien faites pour déconcerter, pour attrister, pour exaspérer les peuples nourris d'humanisme véritable. Leur science n'est pas notre science. Leur sentiment de la vie nous inspire de l'étonnement et de l'horreur. O pays de l'ordre et de l'harmonie, seconde patrie de tous .les hommes vraiment civilisés, se peut-il que tes maîtres actuels te livrent, pieds et poings liés, à tes plus perfides ennemis ? » Ainsi donc allaient mes rêves, et le train, cependant, glissait vers les plaines jalonnées de villes illustres. Dix jours plus tard, au retour, nous décidâmes de nous arrêter dans une de ces villes. Nous y fîmes un séjour malheureusement trop bref, mais qui brille dans notre souvenir comme un joyau délicat. Autant que le paysage, la gentillesse du petit peuple nous réjouissait le cœur. Pour les voyageurs français, les braves gens de la rue n'avaient que sourires, gestes courtois, paroles aimables. Je retrouvais, avec une véritable gratitude, l'Italie de ma jeunesse. Pour des raisons qu'il est bien superflu d'expliquer ici, je ne connais pas toute l'Italie. Mais, environ ma vingtième année, j'ai fait, trois ou quatre fois, le voyage d'Italie, canne à la main, sac au dos. J'ai mérité mon Italie en traversant les montagnes, à pied, comme dans l'ancien temps. Rien ne vaut l'enivrement d'une telle découverte. Plus tard, pendant la guerre, j'ai retrouvé l'Italie dans des circonstances tragiques. Non pas chez elle, mais chez nous, oui, chez nous, en Champagne. J'ai retrouvé l'Italie sur ma table d'opérations. J'ai soigné des soldats italiens presque tous grièvement blessés. Pour la plupart, c'étaient des montagnards ou des gens de la campagne. "Ils étaient braves devant la douleur, patients et résignés, comme les soldats de chez nous. Dans un de mes récits de guerre, j'ai peint l'un d'eux, Pompeani. Je ne l'oublie rai jamais. Il portait au flanc et à la poitrine une im mense plaie douloureuse qui, comme celle d'Amfortas, ne semblait pas vouloir guérir. Il résistait et serrait les dents, chaque jour, pendant le pansement qui était un long supplice... J'ai revu l'Italie, souvent, mais furtivement, en esca les. Un jour, à la fin de l'hiver, comme nous revenions d'Egypte, nous nous arrêtâmes à Palerme. La radieuse Egypte aussitôt nous parut, dans le souvenir, inhumaine, lointaine, presque incolore, dès que nous eûmes vu Pa lerme dont les montagnes, cependant, étaient chargées de nuées grises. Il paraît que M. Mussolini prétend nous empêcher d'évoquer la sœur latine... A vrai dire, je n'aime pas beau coup les lieux communs pour discours de banquet. Que M. Mussolini se rassure, je ne dirai rien de tel. La libre Italie n'est pas vivante, hélas ! Elle est morte. Je pense avec douleur que l'Italie vient d'être livrée, comme la jeune fille au Minotaure. Je pense avec douleur que l'Ita lie n'est plus, pour un temps, qu'une province de l'Alle magne. Je pense avec tristesse qu'une œuvre politique, en laquelle certains observateurs voulaient voir un exem ple magnifique de relèvement moral et de gloire nationale pour le peuple italien, aboutit, par quelle suite de fau tes et d'erreurs tragiques, à cette défaite lamentable où la vraie civilisation se trouve dès maintenant offensée, mutilée, trahie. Georges Duhamel, de l'Académie française....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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