Extrait du journal
C'est depuis hier que j'ai la certitude que le Carnaval est bien mort. Je nj^parlepas depetites filles en alsaciennes, de petits garçons en bleu horizon, ou même, spectres périmés, de zouaves aux culottes en core rouges arrêtées par des guêtres trop blanches, serrées aux mollets. Je ne parle pas non plus de quelques vierges folles qui, par paquets de trois, passaient parmi les ba dauds étoniiés. J'ai entendu dire par un vieux monsieur ces mots, qui ne peuvent plus rien signifier pour un jeune homme : « Des filles de brasserie ! » comme s'il existait encore des brasseries où le service est fait par des dames costumées! Si le « Petit Sénat » survit, les sénatrices ont au.moins l'âge des sénateurs. Mais j'ai rencontré, entre chien et loup, au pied de la dérisoire statue de Chappe, l'allé gorie transie du Carnaval : C'était un toréa dor. Un toréador solitaire qui s'en allait vers un destin mystérieux. Il n'était pas très jeu ne et ne paraissait pas très gai. Son costume était de satin blanc, et les dorures n'en étaient point ternies. Ce n'était pas un chien lit, mais un pauvre homme dont les bas de coton étaient soigneusement -tirés, dont les escarpins conservaient un semblant d'élégan ce : de pauvres mains montraient à des sillons «quelles .avaient - accoutumé de pratiquer des besognes rudes, et peut-être ^urais-je. pensé que cet Espagnol n'était qu'un domestique, si une petite moustache américaine n'avait détruit toute sa couleur locale. Il allait à petits pas nonchalants; les en fants se retournaient et le montraient du doigt, mais il baissait le front et s'isolait dans sa méditation. Je le suivis le long des trottoirs, par curiosité psychologique, si je puis ainsi dire. Vraiment, n'était-il pas in téressant de savoir pourquoi un homme qui paraissait raisonnable, avait cru devoir se dé guiser en Espagnol? Soudain, il s'arrêta, tira de sa poche un loup noir dont il couvrit son visage, puis il entra dans un café. J'y entrai derrière lui. I 1 se dirigea vers la caisse, et la caissière, qui faisait ses comptes, releva la tête. Elle ne vit que la figure masquée au? ras de son marbre, et poussa un cri. Sans doute elle redouta un bandit venu pour pil ler sa caisse. Les joueurs de manille jetèrent un coup d'œil de son côté, tandis qu'il disait à la caissière : — Vous ne nié reconnaissez pas ? : — En tout cas, répliqua-t-elle sèchement, c'est bête de faire des peurs pareilles ! Il reprit, avec un pauvre sourire qui mon trait des dents bleues : — Vous ne me reconnaissez pasElle; haussa les épaules ! Vous êtes monsieur Léon. Mais comme il n'était pas M. Léon, je vis qu'il avait beaucoup de chagrin d'être pris pour M. Léon. Il s'assit à une table, et tandis que la caissière reprenait ses additions, de temps en temps, après une gorgée de bière, il demandait encore : — Alors vrai, vous ne me reconnaissez pas? Mais il m'était pas son masque qui mas quait surtout sa désillusion. Enfin, il paya sa consommation, se leva et dit encore : — Ben vrai ! si vous ne me reconnaissez pas... Il sortit, et je le retrouvai sur le boulevard. Il retira le loup noir et reprit sa promenade solitaire. Jesentisbien que, parmi tantdepro meneurs vêtus de drap sombre, il avait main tenant un peu honte d'être en satin Blanc. Il monta à Saint-Germain-des-Prés sur la plate-forme d'un autobus, le receveur lui dit, sans douceur : — Vous avez le goût de la rigolade, vous ! Il répondit : — C'était pour faire; une blague... Mais toute la tristesse de sa pauvre mas carade, qui n'avait pas intrigué la caissière, faisait tourner des larmes, dans ses yeux... Robert Dieùdonné....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
En savoir plus Données de classification - léon
- lloyd george
- bokanowski
- smeets
- année
- guillaume ii
- cuno
- de lasteyrie
- gaston calmette
- breaud
- ruhr
- allemagne
- paris
- lenz
- france
- gelsenkirchen
- berlin
- londres
- emmerich
- coblence
- drouot
- sénat
- parlement
- agence havas
- lear
- cologne
- mayence
- parti populaire
- union postale