Extrait du journal

Paris, le 10'janvier 1861. J'ai reçu ta lettre et tes reproches, mon cher Ka-Kao. Il est vrai que depuis deux ans je ne t'ai pas écrit et que l'encyclopédie chinoise doit beaucoup souffrir de mou silence.—Â ma place, tu aurais été aussi circons pect que moi. En relisant encore aujourd'hui les lettres que je t'ai écrites en 1858, je m'aperçois que je t'ai donné des notions fausses, pour la plupart, sur le monde occidental. Je me suis donc imposé une étude sérieuse de la société étrange où je vis avant d'en entreprendre l'analyse. . ' Aujourd'hui, je veux te parler un peu de nos affaires et de nos conflits avec les Barbares. J'ai eu d'abord beau coup de peine àavoir des nouvelles de la guerre. J'ouvrais 4tous les jours les feuilles publiques, persuadé qu'elles n'avaient pas d'autre souci et d'autre préoccupation. 11 n'y était question que d'une danseuse nommée Rigolboche, du dernier bal qu'avait donné un Russe en richi dans le commerce, et de là mort d'un ours du Jardin des Plantes. — On parlait longuement d'une comédie représentée sur un petit théâtre et tout à fait invraisemblable, car on y voit un jeune homme qui donne de grands coups de pied à un vieux monsieur très respectable en lui demandant la main de sa fille : — mais delà guerre pas un mot. — Généralement, les Parisiens ne s'occupent que de ce qui lés concerne. Tout le reste n'est d'aucun intérêt pour eux. Tu auras peut-être appris que, dans la haute Asie, les . fils dé Mahomet ont massacré vingt ou trente mille chrétiens? — Eh bien! cet événement a produit à Paris moins de sensation que l'enrouement d'une chanteuse qui re tardait la représentation d'un opéra. — Si bien que j'ai appris en bloc tout ce qui s'est passé dans le Cé leste-Empire jusqu'au moment où les Barbares sont venus camper sous les murs de Pékin. , Ce qui m'étonne, c'est que les Barbares, très roués et peu délicats dans la vie privée, ont des préjugés .d'une naïveté incroyable dans les choses de la guerre. Ainsi ils, ne comprennent pas qu,'on fasse des traités par ruse pour endormir l'ennemi et le surprendre à î'improviste. — Très avancée sur beaucoup de ques...