Extrait du journal

Ii'indiserétion posthume S'il vaut mieux être mort que vivant, pour braver la calomnie. ■ Le .sceptique répond .qu'il préfère, dans tous les cas, vivre. Que s'il était mort, lorsque la calomnie se déchaînera, il s'en moque d'avance. Elle ne l'ennuiera pas, là-bas. C'est n'avoir pas souci de sa gloire, comme parlait le xvii0 siècle. Le plus obscur en a une à défendre. Il a un honneur. On peut même se demander quelle est la plus triste et méchante calomnie : celle qui s'attaque, en pa raissant au jour, à une grande mémoire, assez bien défendue par son éclat, et ce n'est plus qu'une piqûre dans une couronne de lauriers ; ou bien celle qui vient ternir, longtemps après, la vie d'un pauvre homme. Il était oublié, il gisait. L'un de ces milliers de noms que le promeneur lit avec indifférence sur les dalles et les croix des cimetières. <11 a plu à quel que furieux indiscret de le diffamer en grand style. Et c'est à jamais : autant que dureront les monuments d'une langue. Pensez à cela : on ne sait rien de lui, sinon sa honte et son ridicule. Prenez Brantôme, dont il vient de paraître une nouvelle édition, dans cette belle série que nos Alguasils ont plusieurs fois louée sous la rubrique du livre pour les honnêtes gens. Prenez Brantôme. Son recueil est le répertoire de tous les potins de la cour, depuis l'an mille. Il écoute, il retient, et comme il a une verve prodigieuse, ce qu'il écrit est là, gravé, en dépit d'une syntaxe impossible. Tout le réper toire des mauvaises langues d'un siècle.^ Vous pouvez penser sT c'est une lecture pour les petites filles ! Encore s'il- disait vrai, s'il voulait dire vrai. Les fanatiques de la vérité crue et nue, et traînée sur la place, pourraient invoquer l'intérêt de l'histoire, celui de la psy chologie. Mais par gaillardise ou lorsqu'il est pris fie court, il fait un paquet de ce qu'il a trouvé dans Boccace ou ailleurs et le met dans les bras d'une voisine. Quelle pitié ! Nous ap prenons ce que n'a peut-être jamais fait telle dame (dont nous avons fini par savoir le nom), et même ce qu'elle a peut-être fait et qui, franchement, ne regardait personne. Toutes les fois qu'il lui est possible, M. Henri Longnon, le nouvel éditeur de Brantôme, rétablit la vé rité dans ses notes. Il a seulement fort à faire, et quelquefois, malgré sa science, il n'a rien à opposer au texte. Il s'agissait d'une pau vrette... Pour savoureux qu'il soit, le détestable Brantôme ! Nous avions bien besoin de savoir, par exemple, que celles que Ronsard aima n'ont pas été si belles ni, l'une d'elles, si vertueuse. Elles ont été Trois, elles aussi, comme les grâces, Hélène, Cassandre, Marie, autant de lis, autant de roses. Je ne songeais pas seulement, à travers Bran tôme, à ce fameux journal dont l'auteur n'a pas péché par malice, lui, mais par une fabuleuse crédulité. Je songeais à cette correspondance d'Alain Fournier et de Jacques Rivière, où l'on a eu le tort d'imprimer tout vifs les noms propres tracés par deux enfants qui se con fiaient et ne manquaient pas d'étourderie, à leur âge.-M. Gabriel Boissy s'en plaignait, avec raison, l'autre jour. Deux êtres nobles et gen tils, qui vont nuire sans l'avoir voulu. ■— Bah ! reprend le sceptique. Qui vivait est mort, qui vivra mourrjt. — Mais comme la planète en serait plus agréable, si tout le m onde était discretLais ser à la courtoisie sa fleur exquise, la discré tion... Eugène Marsan....