Extrait du journal

— L'homme qui me parla est Parisien de naissance (ce. qui, à Paris, ne se . rencontre plus que très rarement) et membre de deux Académies ; il errait tout seul, sur le macadam brûlant du trottoir, une feuille du soir à la main, et semblait triste. J'allai à lui, pen sant qu'il avait lu quelque chose de fâcheux aux « Dernières Nouyelles » de son journal. Il me rassura. — Ce que je viens d'apprendre, fit-il, c'est tout simplement que le musée de Cluny con tinue à s'enrichir de merveilles que nous con tinuons, nous autres Parisiens, à ignorer. ' > Voyez plutôt; On vient d'y acquérir un chef d'oeuvre anonyme, du quinzième siècle : une « Histoire de la Vierge », sculptée sur bois, qu'on dit être un bijou. On parle aussi d'une admirable collection d'éventails du quinzième siècle ; puis d'une aumônière brodée et d'un coffret de mariage de l'art italien le plus rare; ' » Et mon journal ajoute que si le. musée de Cluny- est autorisé - par- le Conseil d'Etat a' prendre possession du dernier legs qui: vient de lui être fait, nous y admirerons bientôt une étonnante collection d'argenterie ancienne et des porcelaines allemandes qui seront le régal des amateurs. » Je dis, continua mon académicien, que nous admirerons ces choses. C'est une façon de parler, car je suis parfaitement convaincu que nous n'admirerons rien du tout ; et c'est là justement ce qui m'attriste. » • Il vit que je ne comprenais pas ce qu'il vou lait dire, et sourit. — Veuillez, fit-il, répondre franchement à la question que je vais vous poser : Combien de fois par an, depuis, que vous êtes un homme, êtes-vous entré au musée de Cluny? 1 II y eut un silence: Alors mon interlocuteur insista, et d'un ton indulgent : -• • ' — Je dis tine bêtise: Un -Parisien n'a pas évidemment le temps d'aller tous- les ans dans les musées de Paris ; mais combien de fois les avéz-vous visités depuis dix ans? . L'académicien vit mon embarras. ; .—Voilà,fit-il,l'aveu où je voulais vous amener, mon ami. Les Parisiens ne connaissent pas Paris, et moi-même—dont ce serait un 'peu le devoir de fie-rien ignorer des richesses Qui, d'année...