Extrait du journal

« - Pipelet, farouche Pipelet, c'est moi qui viens secouer ton somme ! » criait le farceur Cabrion. Et la bande joyeuse des peintres s'esclaffait de rire le long de la rue de la Chaussée-d'Antin. Peintres célèbres ou inconnus, rapins ou débulants, beaux ou laids, « talenteux » ou médiocres; mais pleins de flamme et de vie et d'audace ; étalant d'étranges costumes où le rouge criait, où le vert et Le jaune hurlaient en des accouplements baroques ; méprisés des bourgeois et redoutés par leur propriétaire ; n'ayant ni sous ni maille; tirant la langue à la misère et narguant les mauvais jours avec de larges éclats de rire ; à la fois travailleurs robustes et flâneurs exquis; agaçant la brune, courtisant la blonde, et. guignant la rousse qui n'était pas encore à la mode; faisant rarement fortune 'en leurs ateliers pauvres, perchés au cinquième étage et réprouvés comme un ghetto : voilà le peintre d'autrefois, le peintre de la légende romantique, le peintre d'il y a longtemps, bien longtemps. Le temps où les bêtes parlaient !...