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Le Figaro, 14 mai 1910

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Le Figaro
14 mai 1910


Extrait du journal

ACCAPAREURS ! '. II y a chez nous de braves gens qui éprouvent le besoin, de temps en temps, de jouer au Comité de salut pu1blic, comme les petits,garçons jouent au soldat, et les petites filles à la poupée. Ces vengeurs ingénus de la morale, ayant appris ou remarqué, ces temps-ci, que les sucrés étaient en hausse, et le pé trole aussi, et que le blé lui-même avait atteint des cours inusités, se sont dit que, pour sûr, le blé, le pétrole et le sucre devaient avoir été « accaparés » par quelqu'un. C'est un mot qui signifiait quelque chose il- a cent ans. L'accaparement des denrées nécessaires à la vie était possible, en effet, à une époque où la plupart des grands marchés qui nous sont ouverts aujourd'hui n'existaient pas ; où n'était point à redouter la me nace bienfaisante des concurrences in ternationales; où la précarité des moyens de communication suffisait à préserver les trafics de l'accaparement. Tout cela est du passé mort. Mais le Code pénal subsiste, et comme il conti nue de punir les « accapareurs », on en a conclu qu'il existait des accapareurs encore; que c'était aux terrifiantes ma nœuvres de ces gens-là qu'était due la hausse du sucre, du pétrole et' du blé; et-'lon-a -sèmmé les pouvoirs- publics d'ouvrir une enquête contre ces crimi nels inconnus. Rien de plus amusant que cette en quête. Elle est menée à la fois par les magistrats et lés reporters. On cherche les accapareurs et on ne les trouve pas. On interroge les spécialistes de la Bourse de commerce; et la plupart dé clarent qu'ils n'ont jamais entendu dire que le sucre, le pétrole et le blé fussent accaparés par qui que ce soit. Pourtant un de nos confrères avait cru découvrir hier un de ces criminels. Il est allé le voir. Il lui a demandé si c'était bien à l'accapareur du blé qu'il avait l'honneur de parler?-Et il lui a annoncé l'immi nente visite du commissaire. Le négociant interviewé a beaucoup ri. Et il a répondu qu'il attendait M. le commissaire avec impatience, afin de lui donner respectueusement la petite leçon d'économie, politique dont il semblait qu'il eût besoin. Le commissaire n'est pas venu. Sans doutp, chemin faisant, s'est-il instruit......

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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