Extrait du journal
Saint Martin encore une fois nous a sauvés de la bise et du froid. Après les frimas prématurés, après la grosse neige couvrant le cep et la grappe et faisant plier jus qu'au sol les arbres encore feuillus, après les vendanges dans la boue — comme le diacre Brice enveloppait dans son manteau le charbon ardent — Martin nous rapporte un soleil plus pur et plus brûlant que celui d'août et de septembre. Du hâle à l'or et de l'or au sang, le paysage est un vitrail où des torches éclatantes s'élèvent vers le ciel délivré. Les potagers ont reparu, tout neufs. Et chacun, poussant la brouette ou menant la charrette attelée, se hâte à profiter de cette clémence pour mettre à l'abri les derniers fruits de la récolte : bettes, betteraves et pommes de terre. Le vent souffle d'Est, arrachant leur parure aux sycomores de la terrasse. On relève au jardin les arbustes verts que la neige a penchés. Le merle saute dans les jonchées de l'automne. Et le village, replié sur lui-même, résonne à présent des marteaux de bois qui frappent sur les bondes. Martin, saint de la Pannonie, naturalisé français, contemple ces actions bénignes. Il y préside. Martin, modèle de foi, d'obéissance et de charité, qui ne cesse de prier en travaillant, qui va toujours où son maître l'appelle, qui donne sa tunique au pauvre et son manteau à Jésus-Christ. Martin, qui délivrait les vaches du démon, qui eût pardonné au diable même, pourvu que celui-ci cessât de tourmenter les hommes, et qui décochait à l'ennemi du genre humain cette sublime parole : Tu ne peux plus rien contre moi. Petit soldat de quinze ans, serviteur de son servi teur, évêque d'humble figure et d'humble vêtement, tout lui obéissait : les éléments, les arbres et les bêtes. Pierre et Paul, apôtres, sainte Agnès, sainte Thècle et sainte Marie lui rendaient visite. Martin, dont la chape fut le palladium des Rois de France, protecteur de milliers de clochers dans notre patrie, saint du jour de la Paix, pasteur du troupeau décimé mais victorieux, nous voici revenus sous votre garde. Donnez la sagesse et l'endurance à nos chefs, la vigueur à nos jeunes garçons dans les airs, l'œil perçant à nos guetteurs sur les eaux, la patience à nos soldats dans la tranchée, l'espérance à tous les faibles humains. Nous serons sages, nous serons patients, nous étouf ferons tout murmure, nous purifierons nos âmes de toute haine. Nous travaillerons d'un cœur infatigable. Nous prendrons chaque épreuve pour le garant de notre réfec tion. Nous bénirons les plus mauvais jours comme l'an nonce de la consolation future. Mais ne laissez pas trop d'automnes mûrir, ne laissez pas passer trop de fois l'an niversaire sans qu'il nous soulage
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
En savoir plus