Extrait du journal
En dépit de leurs flatteuses relations atfèe la famille impériale, j a triais les'Concourt n'ont pu pardonner au prince-président* plus tard Napoléon III, l'inopportunité de son coup d'Etat, qui a coïncidé avec l'annonce de leur première œuvre et qui en a retardé la mise en vente de près de quarante années. La chance ne les gâtait point. Ils avaient quelque peu le délire de la persécution, et ils ne se gênaient pas pour dire, en parlant de leur déconvenue du 2 décembre : — Ces choses-là n'arrivent qu'à nous. Ils exagéraient. Ces choses-là ne sont point rares. A titre d'homme de lettres, on peut regretter que l'opération de police un peu rude ait relégué au second plan un événement de littérature tel que le début de deux illustres écrivains; mais que la tragédie du 9 octobre accapare l'attention du public au point de faire juger devant les banquettes une Violette Nozière, si l'on me permet cette familiarité dlexpression, c'est pain bénit. « Un procès manqué », écrivait un de nos confrères : il serait pour nous d'une excellente hygiène que tous les procès du même genre fussent manqués comme celui-là. On veut bien reconnaître — et cela est beau, en ces temps de matérialité — que parmi les crises diverses dont nous souffrons il en est une qui mérite l'épithète de morale, et que peut-être même cette crise morale est la cause première et commune de toutes les autres crises ; mais on se borne à la nommer et à en dénoncer la gravité : on ne se soucie guère de la définir. Puis-je proposer ma définition '? Il me semble que notre crise morale, est une sorte de neurasthénie. On sait que les neurasthéniques ne peuvent supporter une contrariété légère, et que leur facilité à tolérer les catastrophes serait admi rable si elle n'était maladive. En termes plus généraux, ils n'ont aucun sentiment des valeurs. L'importance que nous attachons à des faits divers de dernier ordre, à des crimes: sans caractère, commis par de vulgaires comparses, l'intérêt passionné avec lequel nous scrutons des âmes de la plus pauvre étoffe et nous nous acharnons à pénétrer les secrets de ceux ou de celles qui n'en ont pas : autant de sigites d'un lamentable dérangement de notre échelle des valeurs, autant de symptômes de neu rasthénie. La neurasthénie proprement dite se soigne, assez malaisément d'ailleurs, dans les mai sons de repos. Les guérisons sont lentes et précaires, les rechutes toujours à craindre. L'autre neurasthénie est soignée par le Destin, rude psychiatre, qui a des façons tragiques •de remettre les choses au point. On se passe rait de ses remèdes ; il est du moins, parmi les tristesses de l'heure, assez réconfortant de voir les amateurs ordinaires d'affreux détails ne lire que d'un œil distrait, dans leur journal,,, les interrogatoires de la parricide et du grelùchon indélicat, mais courir aux nouvelles de Yougoslavie ou digérer les articles de fond sur les conséquences du double meurtre d'un grand roi et d'un grand ministre. C'est en pure perte que l'on aura remué autour de cette misérable cause toutes .les eaux troubles du freudisme : personne ne semble tenté d'y patauger. Je me souviens d'un des premiers romans de Paul Bourget, où un prêtre, qui ne se laisse pas prendre aux subtilités de la psychologie, résume dans le chapitre final son opinion sur le cas traité par cette formule sans réplique : « Ce . sont de grandes saletés. » Nous pourrions répéter cette phrase-là du matin au soir. Je ne chan gerais que l'épithète : elles ne sont pas « grandes ». Abel Herinant, de l'Académie française....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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