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Le Figaro, 15 avril 1901

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Le Figaro
15 avril 1901


Extrait du journal

l pas que je prétendisse faire une étude comparative des divers types de cuirassés, mais j'avais retrouvé sur le Bouvet un vieil ami,t le capitaine! de frégate Sénés qui commandait en second le navire, vrai type de marin distingué, instruit et solide, comme ils sont presque tous dans cet admirable corps de nos officiers demarine.Le commandant du Bouvet était le capitaine de vaisseau Leygue, frère des deux députés de la Haute-Garonne, marin consommé, adoré de tout son équipage pour son esprit de justice et ses belles qualités de rondeur et de cor dialité. Un bon père famille, lui aussi, et qui, après m'avoir fait admirer, avec quelque fierté, aux murs de son salon, des portraits de marins célèbres et des reproductions de victoires navales, me montra, avec encore plus d'orgueil, sur sa table de travail, une photographie qui représentait un goupe de jolies jeunes filles, en me disant : — Ce sont mes'filles... . #** Nous eûmes, à ce retour, un plus mau vais temps qu'à l'aller. Il faut toujours qu'il y en ait pour tous les goûts sur mer. Je pus constater ainsi que les plus formidables cuirassés se laissent aller, eux aussi, aux douceurs du roulis et du tangage. Je me figurais voir danser les éléphants des Folies-Bergère. Mais mal gré la forte houle, et ■ en dépit de cette danse, l'escadre maintenait le même ordre que par un calme plat, et les na vires, toujours à l'alignement, gardaient la distance réglementaire. Vers minuit, je gagnai ma cabine, et étendu sur ma couchette, je me mis à lire des journaux, ce qui, même en mer, est le plus sûr moyen de s'endormir. Je commençais à peine ma lecture, lorsque la porte s'ou vrit sans bruit, et- un brave mathurin entra, salua sans mot dire, et se diri geant vers le hublot, que j'avais laissé ouvert, il le vissa soigneusement après avoir rabattu les volets extérieurs. Je crus que le temps allait devenir plus mauvais encore et que l'excellent homme voulait; m'éviter d'embarquer des paquets de mer. Mais il eut soin, par surcroît, de fermer hermétiquement; les rideaux intérieurs, ce qui, par la chaleur qu'il faisait, ne laissait pas d'être assez gênant; Puis, en se retirant, tou jours sans bruit, il tourna le bouton élec trique, et je me trouvai brusquement dans la plus complète obscurité. Si c'était pour mon bien, le brave mathurin me semblait aller un peu loin. Je me permis .une timide observation : — Pardon, mon ami, lui dis-je, je n'ai pas sommeil, et je voudrai$ lire encore un peu.:. — Impossible, monsieur, me réponditil, c'est l'ordre, — Ah ! c'est l'ordre? ■— Oui, rapport à l'attaque des torpil leurs. — L'attaque des torpilleurs ! — Oui, les torpilleurs vont partir à notre rencontre de Toulon. Ils viennent pour nous attaquer, et alors, vous comprenezvil faut que tous les feux soient éteints... Je n'avais plus qu'à me lever et à monter sur la dunette. Le commandant Leygue et mon ami Sénés y faisaient leur quart, soigneusement encapuchon nés. sous le vent qui fraîchissait. — Comment 1 me dit le commandant, vous ne dormez pas ? —Mais non. Puisque les tor pilleurs doivent nous attaquer, je suis venu vaincre ou mourir avec vous ! Il se mit à rire : — AhIon vous a averti 1 Nous de vons avoir, en effet, une manœuvre entre cuirassés et torpilleurs. Mais je doute qu'elle puisse avoir lieu. Par ce gros temps, les torpilleurs n'oseront pas mettre le nez dehors. Enfin, il faut veiller tout de même... Et jusqu'au matin, comme ils eussent fait en temps de guerre, les deux ma rins restèrent là à explorer l'horizon. Je regardais comme eux, regrettant bien, au fond de moi, ma couchette, car il faisait plutôt frisquet, mais j'avais fini par me persuader que je remplissais un devoir. On est toujours récompensé de remplir un devoir, même imaginaire.' J'y gagnai d'assister à un magnifique1 lever du jour, aveo les infinies trans formations du ciel passant,1 à travers mille nuances imperceptibles, du gris au bleu et du bleu au jaune. Le soleil éclairait, en effet, lorsque Toulon nous apparut dans le lointain, la mer déjà calmée, plus douce et plus hospitalière à mesure que nous approchions du port......

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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