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Le Figaro, 16 juin 1907

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Le Figaro
16 juin 1907


Extrait du journal

qu'est-ce qu'on payera en plus pour un litre de' pétrole,. pour une paire de gants où pour une côtelette ? Car voilà, mon cher monsieur, le terre à terre, de mes préoccupations actuelles ! J'ai réduit ma toilette a la simplicité la plus stricte. Nous nous refusons toute espèce.de dis tractions. Nous avons supprimé le su perflu dé notre table. De cette façon nous joignons les deux bouts, comme on dit; mais il y a un chapitre rayé sur mon budget, c'est le chapitre des écono mies. ' — Ah! vous faisiez des économies? Je. croyais' que cette mode de la bour geoisie française tombait en désuétude ? — Nous en faisions moins que n'en auraient fait nos parents, jadis, avec les mêmes revenus. Nous en faisions un peu... Jusqu'à la dernière Exposition nous avons maintenu un chiffre d'écono mies très honorable : le dixième de nos revenus, à peu près. Après 1900, nous avons dû diminuer progressivement ce chiffre. Cette année je n'achèterai pas la moindre obligation. — En somme, c'est sur le chapitre « économies » qu'a pesé jusqu'à pré sent, pour votre ménage, l'augmentation dû prix de la vie ? — Il y a pesé si bien qu'il l'a aboli. Je n'y songe même plus, et toutes les femmes de fonctionnaires moyens sont dans mon cas. Mais cela ne suffira bien tôt plus. Et' je prévois qu'au bout de l'éducation de mes fils notre modeste capital sera dévoré. Alors nous montre rons notre bourse vide au percepteur et nous .dirons au ministre des finances : Débrouillez-vous ! tout comme les félibres. . Et les gens riches? J'ai interrogé une dame qui a un hôtel, une automobile, d'assez belles perles, quatre domestiques (trois femmes et un homme). Je lui ai demandé si elle était sensiblement touchée par l'accroisse ment du prix de la vie. Elle m'a répondu : — Oh ! c'est bien simple... Moi, j'ai un esprit clair, et je n'aime pas à geindre. Telles de mes amies crient comme de jeunes orfraies contre le gouverne ment, qui s'en moque. Telles.autres s'i maginent faire mei'veille en renvoyant une femme de chambre sur deux, en remplaçant leur auto. par un mauvais locatis, en lâchant leurs grands fournis seurs pour des fournisseurs de troisième ordre. Grâce à.ces mesures énergiques, elles arrivent,à rogner deux mille cinq cents francs par an sur un budget de soixanté-dixmille... Moi, je ne récrimine pas, et je ne change rien à mon train de vie. J'ai dit à mon mari : «Arrangezvous pour faire rapporter plus de reve nus à notre fortune, car j'ai besoin de plus d'argent qu'avant. En effet, aupara vant, avec cent cinquante francs on se procurait un chapeau passable. Aujour d'hui, le joli chapeau moderne à aigrettes coûte six cents francs ; on en cite même un de mille francs. Je ne peux pas ne pas porter le chapeau moderne. Je ne peux pas m'habiller de confections. Je ne peux pas quitter mon hôtel et loger dans un cinquième. Je ne peux pas faire mes visites à pied... Mon cher mari, in géniez-vous. Faites entrer plus d'argent dans la maison. » — Et il s'est ingénié? ' — .Tout de suite : vous savez bien qu'il fait tout ce que je veux ! /— Qu'a-t-il inventé? — Il a modifié complètement son por tefeuille, qui avait été composé par nos parents au moment de notre mariage, et qui était très vieux jeu. Nous avons même fait ça ensemble. Justement nous avions reçu un prospectus où, les valeurs étaient classées par ordre de revenu, Nous avons choisi exclusivement des va leurs rapportant cinq et demi, six et sept. Il y en a beaucoup en ce moment ; c'est un très bon moment. Ensuite nous avons réservé une somme assez ronde pour les opérations à terme. (Vous voyez que je commence à m'y connaître.) Mon mari, de cette manière, fait enfin valoir sa for tune. Nos revenus se trouvent augmentés de treize mille francs par an. La. baisse du Rio nous a, il est vrai, coûté cinquante mille francs ; mais il paraît que nous al lons retrouver le tout et mieux, dès que New-York sera calmé. ' Elle riait en disant cela, et je sentais bien qu'elle n'était convaincue qu'à moitié. — Ah ! puis, conclut-elle, vous savez?... s'il n'y a pas moyen de s'en tirer autre ment, on fera des dettes. — Et après ? Après ? Eh bien ! après on n'aura plus rien. Personne n'aura plus rien. On re fusera l'impôt et on fera la nique au gou vernement, comme Marcelin... Marcel Prévost....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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