Extrait du journal
Le printemps précoce étonne et séduit. Déjà les fleurs montrent leur nez dans l'herbe. Violettes et cou cous allient leurs ors et leurs sombres charmes. Les Parisiens, dès qu'ils ont une heure de loisir, s'en vont au Bois et ne songent pas à se demander, com me dans la chanson, si tous les lauriers sont coupés. Le lac est sillonné de cygnes et de barques, et Bagatelle, le jardin préféré des citadins désireux de calme et de silence, ouvre sur ses belles allées, ses premiers arbustes en joie et ses vieux arbres encore dénudés, mais rêvant à leurs prochains feuillages. J'aime y aller humer un air ■ presque campagnard, presque forestier. N'ai-je pas, jadis, l'ait ici la connais sance d'une biche ? Nous étions, elle et moi, séparées par une des hautes grilles fermées, qui donnent sur les taillis et les bois, et pendant un long moment, sans nous comprendre, unissant son museau et mes mains entre les barreaux, nous avons eu la certitude réciproque de nous plaire. Ges''aubaines féeriques sont rares. Mais, continus sont les concerts des oiseaux heureux que nul ne chasse. • Dès. maintenant, confiants, ils préludent à leurs amours -et les prunus imprudents,, tout parés de leurs robes en sucre candi rose, ont un air de fête et de Pâques. ■ / ! Pourtant, aujourd'hui je ne goûte pas le soleil ni ces promesses que je sais encore fallacieuses. Et. l'émotion provoquée par les nouvelles d'Europe voile de gris ces rayons. pourtant si désirés, ces vernales corolles et ces apparences d'un bonheur précaire... Il fait chaud. Sur un banc tiède, je m'assieds, je médite et il faut bien l'avouer—. j(j. m'endors... C'est alors que me visita ce rêve absurde. Je me trouvais, ainsi que tout à l'heure,, arrêtée au seuil de ce jardin. Mais, au lieu d'offrir ma. carte au guichet à une aimable gardienne, je vis se pencher sur moi le visage d'un soldat allemand. A la grille, je ne vois plus le garde bénévole, ni la marchande de petits pains, de sucre d'orge et de massepains... je vois, encore, un soldat allemand. J'entends sur les routes qui se croisent les pas lourds des patrouilles' étrangères... Je n'entrerai donc pas en ce jardin. Avec la rapidité magique et les ailes que nous donne le songe je m'élève, je monte aux nuages et dans ce ciel printanier d'un bleu si fin je vois, j'entends des avions... Je reconnais au passage les mar ques teutonnes. Je survole Paris... je n'ose pas préciser quels sont les uniformes qui veillent au pied de notre Arc de Triomphe... la place de la Concorde, le Louvre sont, en ce jour de mars, en cet air irisé, d'une admirable beauté. Une lumière presque rosée donne une vie spiri tuelle aux façades si nobles et si françaises, et aux balcons séculaires on croit voir se pencher quelques-unes des formes de notre gloire. Mais, dans la cour, je vois des sol dats allemands... Je m'élance, d'un long essor, vers Notre-Dame. Ses deux tours, d'une jpajesté protectrice, se dressent vers cet azur, ce même azur vers lequel s'éle vaient les prières - de sainte Geneviève, d'un geste de menace et de mécontentement, comme si ses enfants de Paris n'avaient pas été sages. Je retombe au parvis et je veux entrer dans la cathédrale. Mais les portes rouges, les portes, les trois portes qui pour moi sont celles du passé, du présent et de l'avenir, sont fermées et .leur accès est défendu par des soldats allemands. La porte du Jugement, la porte de la Vierge, la porte de sainte Anne... je ne les franchirai donc pas. Ni moi ni la foule repoussée nous n'entendrons sous ces voûtes imprégnées de l'encens et des oraisons des siècles les paroles qui rassurent et qui rassérènent. Mon songe nie ravit de nouveau, me fait traverseï; d'un souffle la ville illustre et bien-aimée, le fleuve, les bois, les collines... Je m'éveille avec un frisson. Il fait froid. L'inconscience des fleurs, du jardin, des oiseaux est toujours la même. Et l'appel doublé de la mésange s'attriste à l'approche du soir. Gérard d'Houi;lle....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
En savoir plus Données de classification - wladimir d'ormessôn
- kazakov
- gérard d'houi
- carco
- seyss inquart
- yagoda
- zelenski
- blum
- ivanov
- tass
- espagne
- pologne
- barcelone
- france
- tarragone
- aragon
- valence
- europe
- autriche
- varsovie
- conseil de cabinet
- fédération anarchiste
- union générale
- fédération républicaine
- quai d'orsay
- parti communiste
- collège militaire
- cour suprême