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Le Figaro, 16 mai 1936

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Le Figaro
16 mai 1936


Extrait du journal

< Demandez la liste complète des deux cents familles: deux francs. » Le camelot, au coin des rues, vend ses deux cents familles comme il vendrait la liste des numéros gagnants de la loterie ou du buis béni à la porte des églises le jour des Rameaux. Seul, le prix est exceptionnel. On l'a « harmonisé » avec la somme de mirages que repré sentent aux yeux des foules ces fameu ses deux cents familles. Deux francs une feuille de papier qui a tout juste la consistance et . la séche resse de deux pages de l'annuaire des téléphones, c'est cher. Pourtant, la midi nette, le petit employé, tous ceux pour qui cette somme modique est convertible en un plaisir à long terme s'arrachent ces feuilles et lisent ces noms, inconnus d'eux, qui forment le cercle doré où l'on tient prisonnier leur bonheur. L'histo rien à deux francs — qui, à ce tarif, aura tôt fait de fonder une deux cent unième dynastie — ne s'est pas embar rassé de scrupules. Il a mis par ordre alphabétique les noms les plus voyants qui lui sont tombés sous la plume. Il y a de tout dans cette liste : des grands seigneurs de la finance et des industriels ruinés, des magnats authentiques et des gens du monde qui vivent de leçons de bridge ou de cachets de cinéma. Parmi ces derniers, combien seront étonnés de se trouver en une si heureuse compa gnie !• Ceux-là seuls, pour cette dernière heureuse illusion, en auront pour leur argent. En attendant son autobus, l'acheteur des deux cents familles jette un coup d'œil sur son acquisition. A vrai dire, il a l'air un peu déçu. 11 ne sait pas ce qu'il espérait, peut-être des portraits d'hommes à monocle ou de femmes chargées de perles, mais cette énumération lui paraît un peu aride. Cètfe simple feuille de recensement ne satis fait pas tout à fait son imagination. Il la plie cependant avec soin et la met dans la poche intérieure de son veston. Malgré sa déception, il a le sentiment qu'il y a quelque chose de changé dans la société. Il est un nouveau capitaliste : il a deux cents têtes en portefeuille. James de Coquet....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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